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du Pirate. C’est sans doute afin de ménager la voix de sa prima donna et dans le seul intérêt de sa santé qu’un excès de zèle, s’il se renouvelait souvent, pourrait bien compromettre, que M. Vatel travaille en ce moment à préparer à la Grisi de longs loisirs à la saison prochaine. Sur deux opéras nouveaux qui seront représentés cette année, l’un, celui de M. Donizetti, est destiné à la Persiani ; quant à l’autre, au Nabuchodonosor de Verdi, on vient d’engager tout exprès pour y chanter la partie d’Abigaïl une demoiselle Brambilla dont la renommée n’a jamais, que nous sachions, brillé en Italie d’un lustre bien flamboyant. Personne plus que nous n’aime à voir la troupe du Théâtre-Italien s’enrichir de noms nouveaux ; encore convient-il que ces noms aient acquis de la célébrité. De même que nous applaudissions à l’avènement de Ronconi, nous consentirions volontiers à ce qu’on laissât partir la Grisi s’il s’agissait de la remplacer par quelque Malibran, à ce qu’on se défît de M. de Candia pour nous donner Moriani ; mais, à vrai dire, ces renouvellemens par en-bas d’une troupe telle que la troupe du Théâtre-Italien de Paris ne nous semblent devoir produire aucun résultat auquel l’art musical soit intéressé. On a l’air de vouloir tout simplement tenter des expériences, de vouloir essayer si, en multipliant les sujets de médiocre importance, on ne parviendra point, en un moment donné, à pouvoir se passer de certain talent de premier ordre dont on aura, du reste, pris grand soin de chercher à déshabituer le public au moyen de toute sorte de petites manœuvres administratives. Pourvu que la présence de Mlle Brambilla n’aille pas nuire au succès de l’opéra de Verdi qu’on promet de nous donner enfin ! Depuis bientôt quatre ans qu’on ne chante en Italie que la musique de Verdi, que ses cavatines et ses duos traînent sur tous les pianos, le temps semblerait en effet venu pour l’administration du théâtre Ventadour de mettre à la scène les partitions du jeune et déjà célèbre compositeur. Ces bons Milanais riraient bien si nous leur disions qu’en France nous en sommes restés à Donizetti ! Entre Donizetti et l’Italie musicale contemporaine, il y a toute une école, et c’est justement à cette école qu’appartient Verdi. Une instrumentation toujours serrée, souvent énergique et puissante, une mélodie cherchant l’ampleur et l’expression, plus de développement dans les chœurs et tous les accessoires que n’en comportait l’ancien système, tels sont, à mon sens, les principaux caractères qui distinguent les chefs du mouvement en question. -Mercadante semble avoir ouvert la voie avec la Vestale et le Giuramento, et peu à peu on a vu tous les esprits nouveaux s’engager sur ses traces. En s’attachant comme les autres à la forme adoptée par Mercadante, Verdi semble avoir pris à tâche de consommer le rapprochement entrevu par celui-ci entre la cavatine italienne et le système purement dramatique de l’opéra français. Comme tout continuateur d’un mouvement, il en a exagéré les tendances, de sorte que, si le genre de Mercadante inclinait déjà du côté de nos idées, la manière de Verdi s’y rattache entièrement, tant par la coupe grandiose des morceaux et le style mélodique de ses récitatifs, que par une certaine pompe de décors et de mise en scène à laquelle sa musique se prête