Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La pièce que vous m’apportez là est ennuyeuse à dormir debout ? Et comment à son tour le poète s’abuse-t-il sur la musique de son compositeur au point de ne pas s’apercevoir que cette partition ne contient que des redites ? Entre gens de tant de talent et d’esprit, il faudrait savoir se confier certaines vérités. Par malheur, les choses se passent autrement : au lieu de se critiquer, on s’encourage ; au lieu de se conseiller, on s’applaudit, et l’on arrive ainsi, bras dessus bras dessous, devant le public, qui s’imagine être pris pour dupe, et tourne le dos sans façon. Avouons-le, M. Scribe n’est pas cette année en veine d’opéras-comiques ; deux exemples viennent de nous le prouver coup sur coup. Après la Barcarole ; le Ménétrier ! en vérité, on croirait presque à une gageure. Remarquez cependant qu’ici le spirituel écrivain avait toute raison de se montrer soigneux de réussir et d’user de scrupules envers son musicien. Qu’on se néglige une fois par hasard envers un maître aussi choyé, aussi applaudi, aussi gâté de tous que l’est M. Auber, la faute en somme peut se réparer, il ne tient qu’à l’auteur de la Barcarole de prendre sa revanche avant six mois, et puis M. Auber a derrière lui son passé glorieux, qui le sauvegarde contre les éventualités fâcheuses d’un échec. Tels ne sont point les privilèges de chacun, n’a pas qui veut son lendemain, et quand un compositeur encore à son début, quand un homme plein de zèle et d’amour pour son art, tourmenté du besoin de se produire, a recours à vous pour entrer en communication avec ce public dont il rêve de loin les applaudissemens et les couronnes, il y a conscience à tromper ainsi son espoir, et pour ma part, il me semble que j’estimerais plus un refus net et franc que ces offres de service qui, en fin de compte, ne sont qu’une manière de se décharger aux dépens des nouveau-venus d’un fond de sac dont les anciens ne veulent peut-être pas.

Le poème du Ménétrier étant donné, il ne restait au compositeur qu’un seul moyen de se tirer d’affaire : étouffer ce poème sous la musique et couper net, à grand renfort de violons et de trombones, aux banalités de cette action sans intérêt. Le procédé peut réussir ; Beethoven l’a prouvé dans Fidelio ; il est vrai de dire qu’il y avait au fond de cette idée absurde du bonhomme Bouilly un élément de sentimentalité dont un grand poète, dont le chantre des symphonies devait finir par tirer un parti sublime. Sous ce sol ingrat que creusait l’ongle du lion, on pouvait pressentir la source des larmes. Mais que faire d’un sujet dépourvu de caractère et de passion, où la musique, au lieu d’être servie par les combinaisons du drame, semble n’avoir pour tâche que d’en déguiser la triste contexture ? Vous avez vu ces gens qui prennent la parole pour empêcher leur voisin de dire une sottise : de même dans cet opéra du Ménétrier, lorsqu’il voit que son personnage va perdre contenance, M. Labarre se met à chanter, et voilà un air ; si, au lieu d’un personnage, il y en a deux, c’est un duo, et ainsi de suite. Je le répète, la musique du Ménétrier a, selon moi, l’avantage énorme d’en faire oublier le poème ; c’est tout simplement une symphonie que M. Labarre a composée là, une symphonie très habilement écrite, semée de traits d’orchestre d’un goût