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sommes, nous montre encore des scènes du moyen-âge. Heureusement, dans cette nature à la fois candide et profonde de l’esprit germanique, tout s’allie, la naïveté et l’expérience, la faiblesse et la force, les exagérations du panthéisme ou d’un mysticisme poétique, et les conceptions sérieuses de la raison moderne. Pendant que les sectes philosophiques ou religieuses pullulent sur cette terre privilégiée du schisme et de l’hérésie, l’industrie, le commerce, les travaux publics, la science administrative, y font d’admirables progrès, et de graves symptômes révèlent le mouvement de l’esprit politique.

Tous les regards de l’Allemagne sont en ce moment fixés sur la Prusse. Le gouvernement de Berlin, dans ces derniers temps, semble avoir été peu fidèle à cet esprit de libéralisme et de modération dont il aime à se parer. L’expulsion des deux membres de la chambre badoise, MM. Itzstein, conseiller de justice, et Hecker, avocat au tribunal de première instance, a causé, il y a deux mois, une émotion qui dure encore. Les motifs qui ont dicté cette mesure sont un mystère. Les protestations qui l’ont suivie, soit de la part du gouvernement badois et de son ambassadeur, soit dans la chambre des députés de Wurtemberg, ont dû faire naître dans l’esprit du roi de Prusse de sérieuses réflexions. Pendant que les états libres d’Allemagne témoignent ainsi leur ferme résolution de repousser des tendances arbitraires, et de garantir leur indépendance politique, des mouvemens populaires, comme ceux de la Silésie, des insurrections fréquentes, la liberté qui se montre dans les écrits, les sourdes rumeurs qui se font entendre dans les provinces orientales du royaume et dans certains états limitrophes, tout annonce à la prudence royale que le temps est venu de satisfaire l’opinion, en donnant au peuple cette constitution libérale si souvent promise et si ardemment désirée. Le bruit court que les dispositions personnelles du roi seraient favorables à cette grande mesure, qui honorerait son règne. La retraite de M. d’Arnim, qui passe pour avoir toujours combattu dans le cabinet de Berlin le progrès des idées libérales, se rattacherait, dit-on, à cette pensée.

En résumé, on peut dire du tableau qui précède que, sans être inquiétant, il donne cependant beaucoup à réfléchir. Les affaires de Grèce et de Syrie, la question du Texas, la Suisse, d’un aspect si menaçant et si sombre, l’Allemagne du nord, que l’esprit de réforme agite, sans compter l’Espagne, dont la situation est toujours si embarrassée, tout cela mérite assurément l’attention sérieuse de notre diplomatie.

Quoi qu’il en soit, l’Europe, sur beaucoup de points, présente en ce moment une physionomie riante et animée. La saison des visites royales est commencée. L’Allemagne accourt sur les pas de la reine d’Angleterre, qui va recevoir, au château de Johannisberg, l’hospitalité de M. de Metternich, le Nestor de la diplomatie. Sur les frontières de l’Espagne, le duc et la duchesse de Nemours vont à la rencontre de la jeune reine Isabelle. Le voyage de M. le duc de Nemours dans plusieurs départemens de la France a produit les résultats qu’on devait désirer. Le prince a reçu partout un accueil empressé, qui s’adressait aux qualités de son esprit, à la bienveillance et à l’affabilité