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c’est qu’elle exprime la beauté de son ame. Peut-être en toute autre circonstance la figure de cet homme est-elle commune, triviale même ; ici, illuminée et comme transfigurée par l’ame, elle s’est ennoblie, elle a pris un caractère imposant de beauté. Ainsi la figure naturelle de Socrate contraste étrangement avec le type de la beauté grecque[1] ; mais sur cette toile merveilleuse[2], voyez Socrate à son lit de mort, au moment de boire la ciguë, s’entretenant avec ses disciples de l’immortalité de l’ame, et sa figure vous paraîtra sublime.

Au plus haut point de grandeur morale, Socrate expire : vous n’avez plus sous les yeux que son cadavre. La figure morte conserve sa beauté tant qu’elle garde les traces de l’esprit qui l’animait ; mais peu à peu l’expression s’éteint ou disparaît, la figure alors redevient vulgaire et laide. L’expression de la mort est hideuse ou sublime : hideuse à l’aspect de la décomposition de la matière que l’esprit ne retient plus ; sublime quand elle éveille en nous l’idée de l’éternité.

Considérez la figure de l’homme en repos : elle est plus belle que celle de l’animal, et la figure de l’animal est plus belle que la forme de tout objet inanimé. C’est que la figure humaine, même en l’absence de la vertu et du génie, réfléchit toujours une nature intelligente et morale ; c’est que la figure de l’animal réfléchit au moins le sentiment, et déjà quelque chose de l’ame, sinon l’ame tout entière. Si de l’homme et de l’animal on descend à la nature purement physique, on y trouvera encore de la beauté, tant qu’on y trouvera quelque ombre d’intelligence, je ne sais quoi qui du moins réveille en nous quelque pensée, quelque sentiment. Arrive-t-on à quelque morceau de matière qui n’exprime rien, qui ne signifie rien : l’idée du beau ne s’y applique plus. Mais tout ce qui existe est animé. La matière est mue et pénétrée par des forces qui ne sont pas matérielles, et elle suit des lois qui attestent une intelligence partout présente. L’analyse chimique la plus subtile ne parvient point à une nature morte et inerte, mais à une nature organisée à sa manière, qui n’est dépourvue ni de forces ni de lois. Dans les profondeurs de l’abîme comme dans les hauteurs des cieux, dans un grain de sable comme dans une montagne gigantesque, un esprit immortel rayonne

  1. Voyez, dans la dernière partie du Banquet, le discours d’Alcibiade, p. 325 du tome VI de notre traduction.
  2. Je parle ici, je l’avoue, du Socrate de David, qui me paraît, le genre un peu théâtral admis, fort au-dessus de sa réputation. Outre Socrate, il est impossible de ne pas admirer Platon, écoutant son maître en quelque sorte au fond de son ame, sans le regarder, le dos tourné à la scène visible qui se passe, et abîmé dans la contemplation du monde intelligible.