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On a dit qu’il n’y a point d’homme supérieur sans quelque grain de folie ; mais cette folie-là, comme celle de la croix, est la partie divine de la raison. Cette puissance mystérieuse, Socrate l’appelait son démon ; Voltaire l’appelait le diable au corps ; il l’exigeait même d’une comédienne pour être une comédienne de génie. Donnez-lui le nom qu’il vous plaira, il est certain qu’il y a un je ne sais quoi qui inspire le génie, et qui le tourmente aussi jusqu’à ce qu’il ait épanché ce qui le consume, jusqu’à ce qu’il ait soulagé en les exprimant ses peines et ses joies, ses émotions, ses idées, et que ses rêveries soient devenues des œuvres vivantes. Ainsi deux choses caractérisent le génie, d’abord la vivacité du besoin qu’il a de produire, ensuite la puissance de produire ; car le besoin sans la puissance n’est qu’une maladie qui simule le génie, mais qui n’est pas lui. Le génie, c’est surtout, c’est essentiellement la puissance de faire, d’inventer, de créer. Le goût se contente d’observer et d’admirer. Le faux génie, l’imagination ardente et impuissante, se consume en rêves stériles et ne produit rien ou rien de grand. Le génie seul a la vertu de convertir ses conceptions en créations.

Si le génie crée, il n’imite pas. Mais le génie, va-t-on dire, est donc supérieur à la nature, puisqu’il ne l’imite point ? La nature est l’œuvre de Dieu ; l’homme est donc le rival de Dieu ?

La réponse est très simple. Non, le génie n’est point le rival de Dieu ; mais, lui aussi, il en est l’interprète. La nature l’exprime à sa manière, le génie humain l’exprime à la sienne.

Sans doute, en un sens, l’art est une imitation, car la création absolue n’appartient qu’à Dieu. Où le génie peut-il prendre les élémens sur lesquels il travaille, sinon dans la nature dont il fait partie ? Cependant se borne-t-il à les reproduire tels que la nature les lui fournit, n’est-il que le copiste de la réalité, son seul mérite alors est celui de la fidélité de la copie. Mais quel travail plus stérile que de calquer des œuvres essentiellement inimitables, pour en tirer un simulacre médiocre ? Si l’art est un écolier servile, il est condamné à n’être jamais qu’un écolier impuissant.

Le véritable artiste sent et admire profondément la nature ; mais tout dans la nature n’est pas également admirable. Elle a quelque chose par quoi elle surpasse infiniment l’art, c’est la vie. Hors de là, l’art peut à son tour surpasser la nature, à la condition de ne pas vouloir l’imiter trop scrupuleusement. Tout objet naturel, si beau qu’il soit, est défectueux par quelque côté. Tout ce qui est réel est imparfait. Ici l’horrible et le hideux se mêlent au sublime ; là l’élégance et la grace sont séparées de la grandeur et de la force. Les traits de la beauté sont épars et divisés. Les réunir arbitrairement, emprunter à