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des arts. On demande si les élèves doivent commencer par l’étude de l’idéal ou du réel. Je n’hésite point à répondre : Par l’un et par l’autre. La nature elle-même n’offre jamais le général sans l’individuel, ni l’individuel sans le général. Toute figure est composée de traits individuels qui la distinguent de toutes les autres et font sa physionomie propre, et en même temps elle a des traits généraux qui constituent ce qu’on appelle la figure humaine. Ce sont ces linéamens constitutifs, c’est ce type qu’on donne à retracer à l’élève qui débute dans l’art du dessin. Il serait bon aussi, je crois, pour le préserver du sec et de l’abstrait, de l’exercer de bonne heure à la copie de quelque objet naturel, surtout d’une figure vivante. Ce serait mettre les élèves à la vraie école de la nature ; ils s’accoutumeraient ainsi à ne jamais sacrifier aucun des deux élémens essentiels du beau, aucune des deux conditions impérieuses de l’art.

Mais en réunissant ces deux élémens, ces deux conditions, il les faut distinguer et savoir les mettre à leur place. Il n’y a point d’idéal vrai sans forme déterminée, il n’y a pas d’unité sans variété, de genre sans individus ; mais enfin le fonds du beau, c’est l’idée ; ce qui fait l’art, c’est avant tout la réalisation de l’idée, et non pas l’imitation de telle ou telle forme particulière.

Au commencement de notre siècle, l’Institut de France ouvrit un concours sur la question suivante : Quelles ont été les causes de la perfection de la sculpture antique, et quels seraient les moyens d’y atteindre ? L’auteur couronné, M. Émeric David, soutint[1] l’opinion alors régnante que l’étude assidue de la beauté naturelle avait seule conduit l’art antique à la perfection, et qu’ainsi la seule route pour parvenir à la même perfection était l’imitation de la nature. Un homme que je ne crains point de comparer à Winkelmann, le futur auteur du Jupiter Olympien[2], M. Quatremère de Quincy, en d’ingénieux et profonds mémoires[3], combattit la doctrine du lauréat, et défendit la cause du beau idéal. Il est impossible de démontrer plus péremptoirement, par l’histoire entière de la sculpture grecque et par des textes authentiques des plus grands critiques de l’antiquité, que le procédé de l’art chez les Grecs n’a pas été l’imitation de la nature, ni sur un modèle particulier ni sur plusieurs, le modèle le plus beau

  1. Recherches sur l’art statuaire, Paris, 1805.
  2. Paris, 1815, in-folio. Ouvrage éminent qui subsistera quand même le temps aura emporté quelques-uns de ses détails.
  3. Réimprimés depuis sous le titre d’Essais sur l’Idéal dans ses applications pratiques, Paris, 1837.