Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/808

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Par leur objet, tous les arts sont égaux ; tous ne sont arts que parce qu’ils expriment l’invisible. On ne peut trop le répéter, l’expression est la qualité constitutive de l’art. La chose à exprimer est toujours la même : c’est l’idée, c’est l’esprit, c’est l’ame, c’est l’invisible, c’est l’infini ; mais comme il s’agit d’exprimer cette seule et même chose en s’adressant aux sens qui sont divers, la différence des sens divise l’art en des arts différens.

Nous l’avons vu : des cinq sens qui ont été donnés à l’homme, trois, le goût, l’odorat et le toucher, sont incapables de faire naître en nous le sentiment de la beauté. Joints aux deux autres, ils peuvent contribuer à étendre ce sentiment, mais seuls et par eux-mêmes ils ne peuvent le produire. Le goût juge de l’agréable et non du beau. Nul sens ne s’allie moins à l’ame et n’est plus au service du corps ; il flatte, il sert le plus grossier de tous les maîtres, l’estomac. Si l’odorat semble quelquefois participer au sentiment du beau, c’est que l’odeur s’exhale d’un objet qui est déjà beau par lui-même, et qui est beau par un autre endroit. Ainsi la rose est belle par ses contours gracieux, par l’éclat varié de ses couleurs ; son odeur est agréable, elle n’est pas belle. Enfin, ce n’est pas le toucher seul qui juge de la régularité des formes, c’est le toucher éclairé par la vue.

Il ne reste donc que deux sens auxquels tout le monde reconnaît le privilége d’exciter en nous l’idée et le sentiment du beau. Ils semblent plus particulièrement au service de l’ame. Les sensations qu’ils donnent ont quelque chose de plus pur, de plus intellectuel. Ils sont moins indispensables à la conservation matérielle de l’individu. Ils contribuent à l’embellissement plutôt qu’au soutien de la vie. Ils nous procurent des plaisirs où notre personne semble moins intéressée et s’oublie davantage. C’est donc à la vue et à l’ouïe que l’art doit s’adresser et qu’il s’adresse pour pénétrer jusqu’à l’ame. De là la division des arts en deux grandes classes, arts de l’ouïe, arts de la vue : d’un côté, la musique et la poésie ; de l’autre, la peinture avec la gravure, la sculpture, l’architecture, l’art des jardins.

On s’étonnera peut-être de ne pas nous voir ranger parmi les arts ni l’éloquence, ni l’histoire, ni la philosophie.

Les arts s’appellent les beaux-arts, parce que leur seul objet est de produire l’émotion du beau sans aucun regard à l’utilité ni du spectateur ni de l’artiste. Ils s’appellent encore les arts libéraux, parce qu’ils n’acceptent la tyrannie d’aucun but étranger : leur dignité est dans leur liberté. De là le sens et l’origine de ces expressions de l’antiquité, artes liberales, artes ingenuæ. Il y a des arts sans noblesse,