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fait une pause pour laisser respirer nos montures, je vis sous nos pieds, en me retournant, les vastes champs d’oliviers de Padulès, et plus bas la vallée du Bogaraya. Au-dessus de la rivière se déroulait le vert plateau de Cacin, et l’horizon était fermé par la sierra de Gador, que j’apercevais pour la dernière fois. J’en pris congé là pour ne la plus revoir ; de nouvelles sierras nous réclamaient. Faisant donc nos adieux et tournant le dos, non sans quelque regret, à tout le pays que j’avais parcouru les jours précédens, je me jetai, comme Curtius, dans une espèce de gouffre de pierre au fond duquel est Ohanez, gros village qui dépendait, ainsi que les quatre précédens, de l’ancienne taha de Luchar. C’est encore un lieu consacré par les Morisques. Le marquis de Velez marchait sur Apdarax à travers ces âpres sommets avec cinq mille hommes d’infanterie, dont huit cents arbalétriers et le double d’arquebusiers ; le reste était armé d’épées, de lances et de hallebardes ; quatre cents cavaliers bien montés complétaient sa petite armée. Les Mores n’étaient que deux mille, mais bien résolus, quoique si inférieurs en nombre, à lui disputer le passage, même à prendre l’offensive. Le choc fut terrible, la mêlée sanglante : c’était l’hiver, on se battait sur la neige, les morts et les blessés glissaient au fond des abîmes. L’avantage se déclara d’abord pour les Morisques, et la victoire leur serait définitivement restée, si le marquis de Velez ne fût accouru à la tête de sa cavalerie pour soutenir son avant-garde, qui pliait déjà. Il rétablit le combat par sa présence et paya de sa personne en bon cavalier ; oe mostro, dit Mendoza, qui pourtant ne l’aimait guère, por su persona buen caballero. Le champ de bataille demeura enfin aux Espagnols ; près de mille Mores et Tahali lui-même leur général furent tués. Poursuivis à travers la montagne, les fuyards se réfugièrent dans des cavernes inaccessibles ; on en pendit autant qu’on en prit. C’est ainsi qu’on traitait les prisonniers de guerre. En Navarre, il y a quelques années, on ne les traitait guère mieux.

Ohanez n’est célèbre aujourd’hui dans l’Alpuxarra que par des raisins qui sont excellens, et par des draps si grossiers qu’ils ne valent pas l’honneur d’une mention. C’est une population farouche, cruelle, toujours prête à faire le coup de fusil ou le coup de couteau. Le brigandage est ici un mal endémique. Beaucoup de Français furent massacrés en 1808 dans ce village, que par excès de prudence nous traversâmes au galop. Les femmes fuyaient devant nous, les enfans criaient, les hommes juraient, les chiens aboyaient ; nous allions toujours, au risque d’écraser tout le monde et de nous rompre les os, car le site est affreux, les rues sont de vrais précipices. Nous galopâmes ainsi sans respirer jusqu’à l’entrée du barranco de Tizis ; là nous mîmes pied à terre pour attendre le moto, qui, cette fois, était en arrière. Tizis est un ermitage fondé par un dévot de Grenade, que sa vie retirée et cénobitique avait fait surnommer le Coucou. L’église est assez jolie, et même a deux tableaux passables : un Christ portant sa croix, et une Conception, deux sujets de prédilection des peintres et des dévots de la Péninsule. Le lieu d’ailleurs est agréable, riche en verdure, riche en eaux ; jeté d’un bord à l’autre du