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l’air vif et léger comme il l’est sur toutes les montagnes ; un soleil radieux nous souriait sans nous brûler, la brise nous apportait l’agreste senteur des sapins et du thym, un troupeau de brebis broutait paisiblement autour de nous ; une nature si calme, si pastorale, excluait toute idée sinistre, et les alarmes de Tizis étaient oubliées. Toutefois, en passant devant les cortijos, espèce de chalets alpestres groupés au sommet du col, et qui forment les dernières habitations de l’Alpuxarra, nos gens s’obstinèrent à les visiter ; car, à les entendre, les ennemis étaient cachés là, et malheur à eux si on leur mettait la main dessus ! Nous dûmes consentir à cette visite domiciliaire, infiniment peu légale, mais on n’y regarde point de si près sur la Sierra-Nevada, et d’ailleurs qui donc en Espagne se soucie de la légalité ? Les chalets furent fouillés de fond en comble, et on n’y trouva ni voleurs ni charbonniers. Les femmes et les enfans des pasteurs (les hommes étaient aux pâturages) se croyaient pillés, assassinés, et poussaient des gémissemens lamentables ; quelques réaux les firent taire, et changèrent en bénédictions leurs cris d’épouvante.


VI.

Nous avions atteint en bon ordre, et marchant toujours militairement, le sommet du Port de Santillane. Là finit l’Alpuxarra et commence la juridiction de Guadix, encore un nom arabe qui signifie fleuve de la vie (Guet ayx). A peine a-t-on franchi le point culminant du col, qu’on découvre à ses pieds les riches et belles campagnes du Marquisat, fermées au nord par la sierra de Baza. Ce premier coup d’œil est inattendu, saisissant ; je ne saurais mieux le comparer qu’à une vue du Piémont au sortir des Alpes. La manière oblique dont la plaine était alors éclairée lui donnait une teinte bleuâtre, et le Nacimiento ou fleuve d’Almérie, qui la traverse dans toute sa longueur, brillait comme la lame d’une épée brunie au feu. On trouve en descendant le triste hameau d’Abrucena, bâti sur un ruisseau du même nom. Près de là sont des mines de cuivre inexplorées, celle, entre autres, des Quatro-Puntos. Plus bas est Abla (anciennement Alba, Albula), où l’on quitte la Sierra-Nevada pour prendre les bords du fleuve. En tournant vers l’est, on pénètre dans ces terribles gorges de Seron, où don Juan d’Autriche en personne fut battu par les Morisques, et eut la douleur de perdre son tuteur, son ami, don Louis Quixada. D’Abla à Fiñana, la route est une promenade ; côtoyant le fleuve de plus ou moins près, elle passe souvent sous des ombrages dont je sentais le prix, car il faisait encore chaud ; les cigales chantaient à l’envi. Cette vega vaut celle de Grenade. Quant à la population, elle est d’autant plus pauvre que le pays est plus riche, contradiction fort triste, mais fort commune en Espagne. Fiñana, où nous couchâmes chez des associés de M. T…, est un bourg assez propre ; on y fabriquait autrefois beaucoup de soie, mais la plupart des mûriers ont été arrachés, et l’on n’y connaît plus guère aujourd’hui que l’industrie