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prix a coûté son bonheur ; si elle le savait, cette pensée la couvrirait de confusion et empoisonnerait sa vie. Eh bien ! la Faustine de Mme la comtesse Hahn-Hahn, c’est Fernande devenue impatiente, effrontée, Fernande qui sait le secret terrible du drame de Jacques et qui le conduit elle-même. Elle laisse mourir Jacques, et ce sacrifice, elle l’accepte comme un bien qui lui est dû. Non-seulement elle l’accepte, mais elle l’impose, elle tue le comte Andlau, elle tue Mario, et fière, impassible, orgueilleuse, elle continue de vivre dans son égoïsme éternel, purifiée, sanctifiée par ce vice même qui la flétrit. Voilà quel est le paradoxe à la fois hautain et puéril du romancier allemand.

Ce roman de Faustine est pourtant l’œuvre la plus célèbre de Mme la comtesse Hahn-Hahn. Il en a été beaucoup parlé, et si les sympathies ont été vives, les sévères objections n’ont pas manqué. C’est peut-être à tout ce bruit qu’il faut attribuer l’affection de Mme Hahn-Hahn pour son héroïne. Dans la préface de la seconde édition, elle accepte comme des éloges les critiques trop légitimes qu’avait provoquées son œuvre. Elle déclare sans façon que Faustine, en effet, est une sublime égoïste, et que, si elle voulait peindre encore les nobles aspirations d’un cœur qui demande le repos, elle écrirait Faustine une seconde fois. Dans un roman publié quelques années après, dans Ulric, Mme la comtesse Hahn-Hahn se cite elle-même avec une complaisance un peu trop naïve ; un des personnages du récit écrit à Ulric des nouvelles du comte Mario, et le nom de Faustine n’est prononcé qu’avec vénération. On voit que Mme Hahn-Hahn a pris son invention tout-à-fait au sérieux. Dans le même roman d’ Ulric, l’héroïne du premier livre de Mme Hahn-Hahn, la douce et brillante Ilda Schoenholm, reparaît tout à coup dans un épisode. Faustine et Ilda Schoenholm sont donc très certainement les œuvres favorites de Mme Hahn-Hahn, ses deux créations les plus chères ; cependant, on le voit aussi, Ilda Schoenholm n’occupe que la seconde place dans les prédilections de l’auteur, c’est Faustine qui est la figure choisie entre toutes, le rêve idolâtré. Pour moi, je préfère beaucoup Ilda Schoenholm à la comtesse Faustine. Malgré la grace très poétique des premières pages, malgré ce qu’il y a d’aimable dans le portrait de Faustine, avant les brusques évènemens qui assombrissent la seconde partie, j’aime beaucoup mieux les négligences, la mélancolie voilée d’Ilda Schœnholm. Mais l’indécision, l’absence de composition et de plan, excusables encore dans ce premier essai, allaient devenir le défaut continuel de Mme Hahn-Hahn, et c’est pour cela sans doute qu’elle s’attache à Faustine, comme à la plus ferme, et à la plus résolue de ses œuvres.