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payer cette défection, dit-elle un jour au duc de Cumberland. — Voici le moment, s’écria le duc ; il vient d’entrer. Sautez sur lui, petit bulldog ! (you little bulldog ! ) » Lord Abercorn avait eu les deux jambes cassées, et le père d’Addington avait exercé la profession de chirurgien. Elle s’approcha de lui, et, l’œil fixé sur la jarretière : « Qu’avez-vous là, mylord ? lui dit-elle. Un bandage ? Addington a bien travaillé, et j’espère que vous serez dorénavant sur un meilleur pied. » Puis elle s’en alla. On lui disait un jour : « Voyez donc comme lord Castlereagh est rouge ; » elle répondit : « C’est le reflet des portefeuilles. » Il avait coutume de se faire suivre partout de ses portefeuilles de maroquin rouge, et de paraître éternellement enseveli dans les affaires politiques.

La guerre qu’elle soutenait si résolument et avec tant de caprice contre la civilisation affectée ou exagérée de son temps atteignait, comme on le voit, les têtes les plus hautes. Dans le duel misérable et scandaleux entre le prince et la princesse de Galles, elle ne soutint ni l’un ni l’autre, ne prit parti ni pour une victime peu intéressante, ni pour un maître et un mari sans pudeur, se refusa aux avances de la princesse, fut froide et peu prévenante pour le prince, et condamna également par son silence les extravagantes licences de cette femme sans retenue et sans raison, et l’égoïsme despotique de ce voluptueux sans entrailles. Les choses ne pouvaient durer ainsi long-temps ; avec la puissance politique de Pitt, la fantastique royauté de sa nièce devait s’anéantir. En effet, après avoir soutenu l’édifice gigantesque de la suprématie anglaise, Pitt, épuisé et endetté, descendit dans le tombeau ; il avait livré à son œuvre politique son ame, son esprit et son corps. Il faut entendre à ce propos les aveux faits par la compagne de ses dernières années ; on verra ce que coûtent les plus éclatans triomphes de la politique et du pouvoir. « Aucune des jouissances de la vie commune n’appartenait à Pitt ; il n’avait pas même le temps de surveiller ses affaires pécuniaires, et on le volait de toutes parts. Debout à huit heures, déjeunant au milieu d’une foule de solliciteurs et de membres du parlement, ne cessant de travailler, de parler, de répondre, de donner des ordres jusqu’à quatre heures du soir, il mangeait à la hâte une côtelette de mouton, se rendait à la chambre des communes, y trouvait ses ennemis sur le qui vive, luttait avec acharnement jusqu’à trois heures du matin, et revenait souper avec ses amis, pour se coucher ensuite et prendre une ou deux heures de repos. Nulle organisation n’y aurait résisté. Souvent, au milieu de ce sommeil, il était réveillé par une dépêche de lord Melville ou par un ordre de se rendre à Windsor. Ce n’était pas une vie, c’était un meurtre. Ses plus heureux