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ne pouvait s’appuyer en Syrie que sur le vieux prestige de son autorité. Ce fut précisément en sa faveur que lady Stanhope se déclara ; ce fut cette cause qu’elle soutint pendant vingt ans, sous les yeux et à la connaissance de l’émir Béchir, et domiciliée au centre même de son territoire. Elle fit peu de bruit à son arrivée, et l’émir, croyant se faire d’elle un appui, lui concéda comme habitation un vieux couvent de Grecs schismatiques, nommé Mar-Elias, dont les bâtimens étaient en bon état, l’accès facile et la situation commode. Elle resta quelques années dans cette retraite, s’habituant par degrés aux mœurs du pays, formant sa maison asiatique, et préludant à ses efforts de pouvoir et de royauté par une réputation méritée de bienfaisance intarissable. Puis, changeant de retraite, mais conservant la propriété de Mar-Elias, elle choisit pour sa résidence définitive Djîhoun, situé non loin de Saïda.

Sur une des croupes les plus escarpées du mont Liban, cône tronqué, environné de précipices comme d’un fossé d’enceinte, et séparé des autres chaînes, couronnées de neiges et tapissées d’une végétation vigoureuse, par un chaos de rochers, de cèdres et de torrens, elle construisit son singulier palais, amas confus de maisonnettes basses, liées les unes aux autres par des galeries obscures, des corridors tortueux et des cours irrégulières. C’était plutôt un labyrinthe qu’une maison. Là tout était disposé pour le mystère, et elle avait semé son domicile de trappes et de cachettes. Le convive qu’elle invitait ne se doutait pas que derrière lui une boiserie renfermait un homme chargé de tout voir, de tout entendre, et de surveiller le service des domestiques. De la porte de ce singulier château, l’œil plongeait dans la profondeur verdoyante des vallées, où le fleuve serpentait lentement, et, en se relevant, le regard glissait sur les pentes noires des montagnes, qui formaient comme un vaste entonnoir circulaire, avec des créneaux de neiges. Ce fut là qu’environnée d’esclaves barbares auxquels elle imposait par la violence et l’habileté, entourée de populations ennemies qui la respectaient comme un être mystérieux placé sur les limites des deux mondes, en proie aux douleurs morales et physiques les plus intenses, consultant les astres, interrogeant le sort, jouant à la fois la pythonisse et la reine asiatique, faisant de son habitation un enfer et répandant ses guinées sur le Liban avec une munificence et une générosité qui la laissèrent sans ressource, elle fonda sa puissance indépendante de l’émir, hostile même à ses desseins.

Elle avait choisi pour l’escorter une miss William, personnage insignifiant, acclimatée depuis long-temps dans sa famille, et le médecin