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est de 181,000,000 sterl. (4,615,500,000 fr). Je reconnais qu’une partie de cet accroissement doit être attribuée à des causes autres que l’exemption de l’impôt ; mais il demeure prouvé que la propriété du pays ne se serait pas accumulée dans une proportion aussi forte, si l’impôt avait continué de peser sur le revenu que le propriétaire en retirait[1]. »

Mais quand l’égalité proportionnelle de l’impôt se trouverait rétablie, le sort du peuple en Angleterre n’en recevrait pas une amélioration très sensible. Le mouvement aristocratique se ralentirait peut-être ; il ne s’arrêterait pas. Lorsque l’inégalité des conditions est arrivée à ce point, elle ne peut plus que s’accroître. Les capitaux accumulés ont une puissance d’attraction contre laquelle ne tiennent pas les petites fortunes ; et les grandes existences, une fois enracinées dans le sol, s’étendent et se fortifient avec le temps. Lord Stanley reconnaît que l’accumulation du capital, de la propriété et par conséquent du pouvoir est le danger de l’Angleterre ; j’ai quelquefois entendu des Anglais, alarmés de l’excès même de la richesse, prévoir que l’on périrait par là ; je n’en ai pas rencontré un seul qui admît que cet état de choses pût changer tant que durerait l’existence de la nation.

Dans une telle société, le lot des classes inférieures est donc l’impuissance, pendant que l’apanage des classes supérieures est l’omnipotence. Le peuple, en tant que peuple, reste frappé d’une incapacité politique radicale et absolue ; il ne peut que témoigner son mécontentement, s’agiter ou même se révolter, et c’est là ce qu’il fait. L’agitation en bas, l’inquiétude au sommet, voilà l’état présent de la Grande-Bretagne. L’aristocratie est souveraine, mais elle ne peut pas dormir ; elle a toujours devant les yeux la triste et terrible image de cette population qui ne tient jamais un seul jour en réserve, dès la veille le pain du lendemain, de cette Angleterre qui, selon Carlyle, « gît, malade et mécontente, se tordant d’impuissance sur le lit où la fièvre la cloue, sombre et presque désespérée dans sa misère, dans sa nudité, dans son imprévoyance, et dévorant son chagrin[2]. »


LÉON FAUCHER.

  1. Speech on property tax, 4 april 1845.
  2. Chartism, by T. Carlyle.