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est plein d’intérêt, et dans cette histoire à trois personnages, peu compliquée, simple histoire de cœur, Mme Sand a retrouvé plus d’une fois son accent des meilleurs jours. Il est maintenant prouvé que Mme Sand n’aurait qu’à vouloir pour rentrer en possession de son talent de conteur ; elle n’aurait qu’à rompre avec ce socialisme qui gâte tout ce qu’il touche en matière d’art. Qu’on se figure Mme Sand écrivant aujourd’hui André avec le système qui a dicté le Meunier d’Angibault ; André et Geneviève seraient certainement deux communistes. Que deviendrait alors la fiction touchante et si vraie que vous connaissez ? Une composition froide et déclamatoire. Il faut donc souhaiter que Mme Sand renonce à la prédication de ses chimères. Elle ne les prêche pas si bien, du reste, et avec une logique si invincible Si, au lieu de nous catéchiser, elle voulait nous charmer encore, elle y réussirait facilement. Pour nous montrer son talent dans sa force et encore dans sa jeunesse, il lui suffit de laisser dans leur sacristie ses oripeaux socialistes. Il est bien entendu qu’elle doit aussi se soustraire au régime du feuilleton, dont les succès, — à supposer qu’il y eût succès, — flatteraient médiocrement son amour-propre : les lauriers de M. Eugène Sue ne peuvent pas empêcher Mme Sand de dormir.

Au reste, ces lauriers sont peu enviables aujourd’hui ; ils sont déjà flétris et desséchés, et nous sommes véritablement embarrassé pour aborder l’auteur du Juif Errant, tant nos craintes à son égard ont été prophétiques. M. Eugène Sue, en entreprenant coup sur coup, au pied levé, deux épopées en dix volumes, a trop compté sur ses ressources, sur les richesses de son imagination, sur l’habileté de sa main, et il nous a donné trop complètement raison sur tous les points. La critique n’aime pas à triompher d’une façon si absolue, quand ses prévisions sont si tristes. Elle aimerait mieux être prise au dépourvu que d’être prise ainsi à la lettre, et si l’auteur des Mystères de Paris eût consulté notre goût, il eût fait de nous un faux prophète et nous eût envoyé un chef-d’œuvre. Le plaisir extrême que nous aurions éprouvé en lisant un bon livre nous eût dédommagé du chagrin que nous aurions eu d’avoir porté un jugement téméraire, tandis que le plaisir que nous avons d’avoir prédit juste ne compense pas la fatigue que nous avons ressentie en lisant le Juif Errant.

Est-ce de l’art d’abord, du roman et de l’imagination, que d’avoir mis en scène cette société des jésuites au moment où ils avaient à se débattre contre la défiance et la colère publiques ? C’est tomber du roman dans le pamphlet, même quand on ne dirait, comme un bon témoin, que la vérité, rien que la vérité, à plus juste raison si on exagère