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les choses, si on est injuste comme l’a été M. Sue. Transformer les jésuites nos contemporains en complices, ou mieux en instigateurs des étrangleurs de l’Inde, n’est-ce pas les calomnier ? Or, Voltaire disait qu’il fallait être bien maladroit pour calomnier un jésuite. Cependant, ce n’est pas de maladresse qu’il faut taxer M. Sue ; au contraire, il faut lui reprocher d’avoir été trop habile à tirer parti de l’impopularité des jésuites, et à chercher encore une fois un succès littéraire dans des choses qui ne sont pas le moins du monde littéraires. On aura beau dire ; tantôt s’adresser au scandale et tantôt à la calomnie, ce n’est pas faire dignement de l’imagination ni de l’art !

Certes on ne nous soupçonnera pas de jésuitisme, mais enfin, si les jésuites sont hors la loi, ils ne sont pas hors l’humanité, et il ne peut pas être permis de les représenter comme une bande de voleurs et d’assassins, au moins sans preuves, et dans une pure fiction. Parce que les repaires de la Cité, que vous avez fouillés avec tant de complaisance, vous font défaut, et que vous avez besoin d’un nouveau répertoire de crimes pour amuser vos lecteurs, ce n’est pas une raison pour représenter les jésuites comme capables des actions les plus infames et les dignes pendans de Jacques Ferrand et du maître d’école. Que ces hommes soient suspects à la liberté, qui est ombrageuse, qu’ils soient hostiles à l’esprit de notre siècle, on ne le conteste pas ; main de là à suborner, à séquestrer, à assassiner les gens pour de l’or, il y a loin. Ah ! si vous avez les preuves en main, parlez haut, tonnez, ne ménagez personne, soyez le vengeur de la moralité humaine ; romancier, devenez un ministère public éloquent, et que votre œuvre soit un formidable réquisitoire sous lequel des scélérats puissans tomberont brisés et anéantis, aux applaudissemens du monde et à votre gloire. Vous n’aurez peut-être pas fait un roman, vous aurez fait, à coup sûr, une œuvre méritoire, vous aurez accompli une mission utile. Est-ce le cas actuel ? Aviez-vous des preuves ? N’avez-vous pas inventé des crimes à plaisir ? Et en noircissant ainsi vos adversaires, en les peignant comme d’abominables bandits, auprès desquels les forçats sont de véritables saints, n’avez-vous pas cherché à exploiter les haines qu’ils inspirent ? N’avez-vous pas voulu fonder votre succès aux dépens de leur honneur et de la vérité ? S’il en est ainsi, il est douteux que vous fussiez absous en bonne morale, mais peut-être la critique littéraire, qui aime le beau avant tout, trouverait des circonstances atténuantes, s’il était sorti de là une œuvre saisissante et poétique. La critique pourrait avoir une faiblesse ; hélas ! elle n’a pas même de tentation.

D’abord, le plan du Juif Errant est manqué. Le fantastique et la