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la question du Texas ; il doit reprendre la neutralité. S’il persistait à suivre une politique où ses intérêts sont visiblement sacrifiés, où il n’a rien à gagner et où il a tout à perdre, sa responsabilité serait gravement compromise.

Pendant long-temps, les catholiques d’Irlande ont eu le privilège d’agiter l’Angleterre par l’association du rappel, et par le spectacle de leurs innombrables meetings. Aujourd’hui, ce sont leurs adversaires irréconciliables, les orangistes, qui veulent à leur tour intimider le gouvernement, et qui se rassemblent par milliers pour protester contre la politique de transaction suivie à l’égard d’O’Connell et de son parti. Leurs déclamations furibondes sont remplies d’anathèmes contre sir Robert Peel. À Enniskillen, à Lisburn, ils ont voté des adresses dans lesquelles ils supplient la reine de renvoyer le cabinet. Ils crient à la trahison, à la lâcheté du gouvernement, à l’abandon de l’église protestante, à la violation des droits et des principes de la vieille Angleterre. Quoi qu’il en soit, malgré toute cette colère déployée contre lui, sir Robert Peel n’a rien à craindre de ce côté. Les orangistes d’Irlande ne sont pas appuyés en Angleterre ; ils n’ont qu’une minorité très faible dans le parlement : à l’ouverture de la session prochaine, le ministère pourra, s’il le croit nécessaire, demander le renouvellement du bill qui a déjà prononcé plusieurs fois la dissolution des sociétés orangistes, et cette mesure passera sans opposition.

On a répété bien souvent que l’Irlande était la grande difficulté du gouvernement britannique. Aujourd’hui, ce mot ne serait point exact. Le cabinet britannique, dans ses vues sur l’Irlande, est soutenu par une majorité puissante, qui partage ses convictions, qui veut, comme lui, substituer à un système de rigueur une politique conciliante, et qui est décidée à fournir au gouvernement tous les moyens nécessaires pour faire triompher cette politique. La grande difficulté du cabinet anglais n’est donc plus, pour le moment du moins, dans l’administration de l’Irlande ; elle est ailleurs, et on peut aisément la découvrir. Parcourez les districts manufacturiers de la Grande-Bretagne ; allez dans ces immenses meetings où se traitent toutes les questions d’économie sociale et politique ; écoutez ces théories du libre commerce et ces doctrines financières si absolues, si radicales ; voyez cette puissante ligue contre les céréales, qui demande que l’Angleterre ouvre ses ports à tous les produits du monde, qui veut l’abolition de tous les tarifs et le renversement des bases du budget ! Dans ce mouvement si orageux, dans cette association gigantesque qui couvre tout le royaume, dans cette effrayante menace dirigée à la fois contre la propriété foncière, contre l’aristocratie, contre la constitution anglaise ; dans cette croisade industrielle et commerciale, dont le dernier mot peut être une révolution politique, ne doit-on pas reconnaître la cause des inquiétudes secrètes qui agitent, dit-on, le gouvernement de l’Angleterre ? N’y a-t-il pas là des dangers qui doivent attirer dès à présent toute l’attention de sir Robert Peel ?

S’il est vrai, comme on l’a prétendu, qu’un des motifs qui ont déterminé le voyage de la reine d’Angleterre en Allemagne a été l’espoir qu’une dé-