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caprice d’un ministre, être transférés d’un siège à un autre. C’est une erreur ; ces inconvéniens étaient graves, mais secondaires. Les auditeurs ont succombé sous le principe d’égalité et de libre concurrence qu’inaugurait le triomphe définitif de la révolution de 1789. Ils étaient des privilégiés ; à la faveur d’un titre modeste, certaines familles avaient envahi les sièges de la magistrature, et trop souvent l’indépendance de la fortune et l’honnêteté des mœurs, seules conditions dont on se préoccupât, étaient les compagnes d’un esprit médiocre et imbu de préjugés. A Dieu ne plaise que nous frappions d’un ostracisme aussi absurde qu’injuste aucune classe de citoyens. Toutes doivent être admises au partage des emplois, et toutes y ont les mêmes droits. Si pourtant il fallait choisir entre la capacité et la naissance, nous avouons que la capacité aurait nos préférences ; mais cette alternative n’existe point. Ceux qu’on veut favoriser, en supprimant toute garantie, se présenteront souvent dans la lice avec des armes mieux trempées que celles de leurs rivaux. La fortune et la naissance ont des avantages naturels et inévitables ; la fortune donne le loisir, la liberté d’esprit, et procure ordinairement les bienfaits d’une instruction supérieure. Un nom honoré, même dans l’enceinte limitée d’une province ou d’une ville, est entouré d’un prestige dont la démocratie elle-même ne se défend point ; des règles d’admission même sévères n’entraîneront donc aucune exclusion regrettable ; mais elles ne permettront pas à des influences de famille ou d’argent de s’exercer au profit de la médiocrité paresseuse ou de l’ignorance insolente. Que la capacité soit donc le premier titre à l’admission, si elle ne peut pas être le seul. Faisons concourir ensemble les garanties morales et les garanties intellectuelles. Ne sacrifions pas plus la science aux mœurs que les mœurs à la science, et que nul ne soit admis au redoutable emploi de rendre la justice, s’il n’a fait ses preuves, non par la production d’un vain diplôme, mais en personne, non par un interrogatoire fugitif, mais par des travaux répétés. Nous ne pouvons pas emprunter des exemples à l’Angleterre, où le petit nombre des juges et l’énormité des salaires permettent au gouvernement d’arracher au barreau ses plus illustres membres, mais l’Allemagne a depuis long-temps tracé la route ; les aspirans à la carrière de la magistrature y subissent successivement des examens théoriques, un stage et des épreuves pratiques[1]. Ce n’est point ici le lieu d’entrer dans des détails d’exécution ;

  1. Voir un article très intéressant sur l’enseignement et le noviciat aux fonctions publiques en Allemagne, publié par M. Éd. Laboulaye dans le tome XVIII de la Revue de Législation et de Jurisprudence.