Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/1010

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Angélique découvrît le fond de sa pensée : oui, j’ai pris tout à coup en dégoût la vie du monde. Quoique le château de Colobrières soit un séjour tranquille, une solitude comparable à ces monastères que de saints personnages habitent dans le désert, j’aspirais à une retraite encore plus profonde ; j’ai voulu m’y réfugier…

— Et quand vous êtes entrée ici, votre ame, parvenue enfin au but de ses désirs, a tressailli de joie ? dit la mère Angélique, et vous vous êtes écriée, comme sainte Brigitte : Ce lieu-ci est le jardin des délices qui mène à la vie éternelle !

Anastasie soupira profondément et demeura muette.

— Ma fille, continua la religieuse avec un léger sourire, je le vois bien, ce n’est pas là tout-à-fait ce que vous avez ressenti en passant la porte de clôture ; cette première épreuve vous a un peu abattue. Cela ne doit ni vous rebuter, ni vous étonner : il y a des cœurs dont Dieu ne veut pas tout d’abord.

— S’il est miséricordieux, s’il est juste, il prendra le mien ; j’ai la bonne volonté de le lui donner, s’écria la pauvre enfant en pleurant.

— Ne vous attendrissez pas, ma fille ; séchez vos larmes, dit doucement la mère Angélique. Allons ! remettez-vous et ne réfléchissez plus sur tout ceci. Prenez ce livre, mon enfant, et lisez tandis que je vais écrire à M. le chevalier de Colobrières de venir faire collation avec nous ce soir.

— Quoi ! ma mère, dans le couvent ? dit Anastasie fort étonnée ; mais il est donc permis d’ouvrir aux hommes la porte de clôture ?

— Point du tout, répliqua vivement la mère Angélique : nos supérieurs ecclésiastiques et les princes du sang royal ont seuls le privilège de pénétrer dans les bâtimens claustraux ; mais, avec ma permission, tout le monde peut se présenter aux grilles, et c’est dans ce parloir que ce soir même votre frère fera collation avec nous. À ces mots, elle s’approcha de la table, ouvrit un petit pupitre, et commença à écrire après avoir mis entre les mains d’Anastasie le livre de la Religieuse parfaite.

Tout en lisant le pieux volume du père Maltagne, Mlle de Colobrières se prit à considérer furtivement l’imposante figure qu’elle n’avait pas encore osé regarder en face, et vers laquelle son cœur était attiré déjà par une sorte de tendresse craintive.

La mère Angélique de la Charité avait atteint l’âge mûr ; mais un léger embonpoint et la pâle fraîcheur de son teint lui donnaient encore un air de jeunesse. Ses traits étaient grands, réguliers, et sa bouche, finement coupée, était souvent entr’ouverte par un sourire