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discret. Elle tenait de sa mère ce long regard limpide et doux particulier aux yeux d’une nuance indécise entre le bleu et le vert glauque. Pourtant la ligne légèrement circonflexe de ses sourcils et son large front découvert rappelaient le sévère visage du baron de Colobrières, et l’ensemble de sa figure exprimait la décision, la fermeté d’esprit, une austère bonté. L’habit qu’elle portait relevait la beauté régulière de ses traits. C’était une robe de couleur gris-maur, avec un scapulaire de serge blanche qui descendait jusqu’à ses pieds. La guimpe, arrangée de manière à couvrir une partie des joues, cachait entièrement ses cheveux, et un ample voile noir flottait sur ses épaules. Un crucifix, attaché à un ruban noir aussi, retombait sur sa poitrine en manière de collier, et comme l’insigne de sa profession religieuse.

— Le chevalier de Colobrières ne s’attend guère à mon invitation, dit la mère Angélique en fermant le billet qu’elle venait d’écrire. Le pauvre garçon ne connaît ame qui vive dans cette Babylone, et le temps doit déjà lui paraître bien long. Il est seul, je suppose ?

— Seul avec son chien Lambin, répondit naïvement Anastasie.

— Ne sachant où prendre un conseil, murmura la mère Angélique, sans protection de personne, et léger d’argent peut-être… Quelle situation !

— Le dessein de mon frère est, je crois, de se retirer aussi du monde, dit Anastasie ; il suivra l’exemple de ses aînés…

— Que la Providence nous aide ! interrompit la mère Angélique ; il ne faut pas souffrir cela. Je ne suis qu’une pauvre recluse renfermée dans le cloître dès sa jeunesse ; cependant je peux donner peut-être un bon avis à ceux qui vivent dans le monde… Ce soir, je parlerai à votre frère… En attendant, ma fille, je vais vous présenter à la communauté ; suivez-moi.


Mme CHARLES REYBAUD.