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les accès de plus en plus faciles et patens ; la difficulté n’est pas là ; elle est encore où elle s’est presque toujours rencontrée en France, dans l’étude, la connaissance, le goût senti de la littérature grecque que tout le monde s’accorde si bien à louer, et que si peu savent aborder comme il faut. Depuis vingt-cinq ans, on a exploré et importé les littératures de tous les pays ; on en a comme versé les richesses dans le domaine commun : eh bien ! la traduction de Platon à part, et en n’oubliant pas non plus l’exquise tentative de Courier, en y ajoutant les récentes Études sur les Tragiques de M. Patin (l’Hippocrate de M. Littré ne rentre pas dans l’ordre d’idées plus expressément littéraires que nous recherchons), on peut se demander quelle œuvre s’est produite en France qui mette l’antiquité grecque de pair avec le mouvement moderne et qui la fasse circuler. Je n’exagère rien : des voix éloquentes dans les chaires ont proclamé depuis long-temps la nécessité, l’à-propos de cette connaissance heureuse, et cherchent à en propager l’esprit ; mais en France rien n’est fait tant que le grand public n’est pas saisi des questions et mis à portée des résultats, tant qu’il n’y a pas un pont jeté entre la science de quelques-uns et l’instruction de tous[1].

A mon sens, il y aurait pourtant à gagner beaucoup, même pour des points actuels et toujours pendans d’art et de langage poétique, à cette appréciation exacte, à cette divulgation fidèle de la poésie ancienne originale ; et il n’y a que la poésie grecque qui ait en elle cette première originalité. Dans les manières de la sentir et surtout d’oser la rendre depuis le XVIe siècle en France, on compterait différens temps et comme divers degrés d’initiation avant d’arriver à son expression toute nue et toute simple, à laquelle on n’est pas encore venu. Racine, certes, la sentait tout entière, mais il ne la rendait pas également, et il l’accommodait plus ou moins à l’usage de son temps, selon ce qu’on en pouvait porter autour de lui. Fénelon eût osé davantage, au moins dans les portions de naïveté et de grace simple : La Fontaine cheminait, mais d’instinct seulement, dans le même sens. Plus tard, l’abbé Barthélemy ne s’aperçut pas qu’il se souvenait beaucoup trop du cercle de Chanteloup, en nous reconduisant jusque dans Athènes. Ceux qui ont le mieux critiqué Barthélemy et fait ressortir ses infidélités, ses enjolivemens de ton, n’auraient peut-être osé eux-mêmes

  1. La Collection des auteurs grecs publiée par MM. Didot et dirigée par d’habiles philologues offrira, quand elle sera complète, les secours les plus commodes pour l’exécution du vœu que nous formons.