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des vieux temps veut être respecté et ne souffre point l’ironie. Il n’y a pas dans tout le libre théâtre de Plaute un trait qui eût pu blesser ces susceptibilités : la politique du sénat n’y est pas plus attaquée que la vertu des matrones, et le personnage, le masque du militaire fanfaron, est toujours un Grec sans conséquence qui ne compromet en rien la bravoure nationale. « Les légions, s’écrie Lucile, servent pour de l’argent, mercede merent legiones. » C’était une nouveauté qu’un si hardi langage ; il annonçait déjà les beaux vers où Lucain osa dire depuis : « Il n’y a ni foi ni pitié chez ceux qui vivent dans les camps ; leurs bras sont vendus ; le droit pour eux est où il y a le plus d’argent[1]. » Lucile avait-il deviné que les gouvernemens militaires finissent par le despotisme et la corruption ? On lit dans un de ses fragmens : « Tout est jeu et hasard dans la guerre ; or, si tout est chance et hasard, pourquoi courir à la gloire ? » Mais qui donc, chez les maîtres du monde, pouvait avoir l’humeur si peu belliqueuse ? Comment Lucile surtout, qui avait courageusement servi aux armées, fût-il venu proclamer dans ses vers des doctrines de paix perpétuelle ? Assurément le poète mettait ce mot dans la bouche de quelque poltron ; à Rome, il n’y avait pas d’abbé de Saint-Pierre, même dans les lettres. Du reste, à un autre endroit de ses satires, Lucile montre dans la guerre la destinée même de Rome, et cette fois il ne donne plus la victoire comme un simple caprice de la fortune « Souvent le peuple romain, écrit-il, a été vaincu par la force et surpassé en de nombreux combats ; mais dans une guerre jamais, et tout est là. » Lucile ici parle en son nom : il a foi à la ville éternelle.

Le temps est venu de quitter le forum ; ce qu’on est surtout désireux de connaître des peuples qui ont disparu, c’est cette existence de tous les jours que les historiens n’ont pas occasion de peindre, c’est cette vie du foyer dont nous cherchons complaisamment les ressemblances avec la nôtre. Sans donc nous laisser avec la tourbe des cliens entre les colonnes de l’atrium, Lucile va nous faire pénétrer tout de suite dans la salle des festins : c’est maintenant la pièce principale. Partout s’étalent les délices et les raffinemens du luxe. Fi des sièges de hêtre, des simples bancs de bois qu’on avait au vieux temps ! chacun de nos gourmands est voluptueusement couché sur l’édredon, sur des tapis soigneusement fourrés des deux côtés, pluma atque

  1. Nulla fides pietasque viris qui castra sequuntur.
    Venalesque manus : ibi fas, ubi maxima merces.
    (Phars., X, 408.)