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Notre tache de glaneur et de mosaïste n’est pas achevée. Ramassons en passant ceux des fragmens de Lucile qui se rapportent aux femmes romaines ; ce ne sont pas les moins curieux. On peut juger exactement de l’état d’un peuple, en voyant ce que sont chez lui l’amante et l’épouse.

Cet élégant qui « se rase, s’épile, se décrasse, se ponce, se bichonne, se lustre, se farde, » est-ce un de ces jeunes patriciens que peint Térence[1], passionnés pour les chiens de chasse, les chevaux ou les philosophes (tout cela était mis sur le même rang) ? ou bien est-ce tout simplement un de ces barbons impudiques, galans surannés, dont les écrivains de théâtre racontaient si complaisamment les déconvenues ? Le texte est trop mutilé pour qu’on le devine. Je crois cependant qu’il s’agissait d’un coureur d’aventures, trop délicat pour ne point « tenir à la figure et pour se contenter d’une louve, de quelque femelle appartenant à qui dispose d’un sesterce ou d’un as[2]. » Bien au contraire, notre lion d’il y a deux mille ans laissait ces sortes de commères « aller, aux jours de fête faire ripaille dans les temples avec leurs pareilles ; » il dédaignait ces femmes « couvertes de crasse, rongées de vermine, de misère, » et bonnes pour les portefaix du port. Ses frais de toilette cachaient bien d’autres intentions ; il soupirait pour une jeune Sicilienne[3] « svelte, agile, à la poitrine blanche comme celle d’un enfant, » et qui avait une grace irrésistible quand « ses doigts roulaient en boucles sa chevelure que divise l’aiguille. » Comment résister d’ailleurs ? la coquette est si avenante, si câline, si doucereuse ; elle l’entoure de cajoleries, « elle lui fait des avances, lui mord les lèvres, l’enjôle d’amour. » Le dard est au cœur de la victime. La cruelle « l’atteint sans qu’il y songe, lui saute au cou, l’embrasse, et tout entier le mange, le dévore ; » car, « plus elle a de caresses, plus l’enragée vous mord. » Vous voyez bien qu’il s’agit d’une Phryné « à qui un amoureux est tombé sous la griffe. » L’amant se ruine ; mais comment la maîtresse s’enrichirait-elle ? les courtisanes font tant les glorieuses ! Ita sunt glorioe meretricum comme dit Plaute[4].

  1.  Quod plerique omnes faciunt adolescentuli,
    Ut aninum ad aliquod studium adjungant, aut equos
    Alere, aut canes ad venandum, aut ad philosophos.
    (Terent., Andr., v. 55.)

  2. Il s’agit de ces fille à deux oboles, et « bonnes pour la crasse des esclaves, » dont Plaute a tracé un si repoussant tableau (Pœnul., 263).
  3. On voit dans le Rudens (prol., 54) que « la Sicile était un pays de voluptueux, excellent pour le trafic des courtisanes. »
  4. Trucul., 837