Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une peine inutile. Le pape, pour conjurer le péril, envoya le nonce Zéa à Carlsruhe. Il paraît bien que le chef du cabinet badois, M. d’Hacke, montra envers Wessenberg plus que de la duplicité, et qu’il prêta une oreille trop complaisante à toutes les insinuations du nonce. Wessenberg résolut d’aller à Rome, où on le détestait ; le danger ne l’arrêta pas, il regardait comme son devoir de défendre jusqu’à la fin une entreprise qu’il croyait bonne ; il revint, mais tout était fini et ses espérances perdues : c’est alors qu’il renonça volontairement à cette dignité épiscopale dont nul n’était plus digne que lui. » Ces traditions, attestées ici par M. Varnhagen, n’ont pas complètement disparu depuis 1815 ; malgré les gouvernemens, malgré le nonce, il est certain que plus d’un cœur demeura fidèle à ses espérances. Une sorte de résistance secrète, mais obstinée, se perpétua sourdement. De loin en loin, quelque rumeur éclatait, surtout dans les universités, dans les facultés de théologie, et l’on apprenait tout à coup avec surprise que des réclamations très audacieuses venaient de se faire entendre, que des pétitions se signaient, que des docteurs, des maîtres vénérés essayaient de se soustraire à la discipline du moyen-âge et de secouer le joug de Rome. Cela était remarquable surtout dans le duché de Bade ; il y a bien peu d’années que, parcourant ce pays, je fus singulièrement frappé d’y rencontrer presque à chaque pas ces indices d’une révolution considérable et très prochaine, me disais-je. A l’université de Fribourg en Brisgau, la faculté de théologie est catholique ; mais, par le libre esprit qui l’anime, elle est bien peu éloignée de sa sœur protestante de Heidelberg. C’est là surtout que des maîtres célèbres caressaient ce rêve d’une église affranchie et tout-à-fait nationale. M. Schreiber était un de ceux-là ; il est aujourd’hui dans le camp des novateurs.

D’après ce qui précède, il est clair qu’il suffira d’une occasion, si frivole qu’elle soit, pour décider un grand soulèvement. Tout est prêt : catholiques, protestans, tous les partis s’agitent et frémissent ; qu’un homme paraisse, et la révolution éclate ! Il n’en faut pas tant ; j’ai demandé un homme, c’est trop ; donnez-leur seulement un masque. Que ce soit un esprit commun, un personnage vaniteux et nul, une pauvre cervelle ; prenez-le aussi vulgaire qu’il vous plaira, cela suffit. S’il est vain, on aura moins de peine à le pousser en avant ; s’il est nul, ses doctrines ne nuiront pas aux doctrines plus hardies qui voudront se produire sous son ombre. Tour à tour, selon l’occurrence, les partis agiront sous ce déguisement ; tour à tour piétistes, rationalistes, démocrates, n’auront que ce même costume, et il arrivera