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prince Jean qui doit y figurer ; tout à coup, sans motif particulier, le mécontentement du peuple, marqué d’abord par un silence morne, éclate avec violence ; ce sont des cris tumultueux ; ce sont les plus fiers et les plus sombres chorals de Luther, ce sont les chœurs des Brigands de Schiller entonnés à pleine voix par une foule enthousiaste. L’émeute s’élance à travers les rues de la ville, et le prince Jean est obligé de fuir. Cependant, tout est fini quand l’autorité se montre ; elle croit réparer sa négligence en agissant, comme on dit, avec vigueur, et l’ordre est donné de faire feu. D’où est venu l’ordre ? On n’en sait rien encore, mais le sang coule, des citoyens paisibles ont été frappés loin du théâtre des troubles, neuf sont tués, trente sont blessés grièvement, de sorte que le vrai coupable, à la fin de cette journée de deuil, c’est le pouvoir.

C’est une vérité bien vulgaire qu’une faute entraîne toujours une faute, et que les violences commises nous obligent bientôt à des violences nouvelles. Le dangereux système de répression qu’on semble avoir adopté dans la question religieuse date du jour où l’on a ensanglanté les rues de Leipsig. Une faute grave avait été faite : on avait tiré sur le peuple, des citoyens inoffensifs avaient été tués ou blessés ; il fallait repousser toute solidarité avec les auteurs de cette violence, et les désavouer, les punir. Eh bien ! que fait-on ? Le ministère publie une proclamation blessante pour la ville de Leipsig ; au lieu de blâmer les perturbateurs, le roi adresse de vifs reprochés à la ville tout entière, et achève par là de s’aliéner une cité puissante, libérale, déjà aigrie par l’outrage, et qu’il fallait ramener à soi avec douceur. Puis, quand il est question des malheureux qui ont succombé, un seul mot, ce mot maladroit et cruel : « Nous déplorons la mort de plusieurs victimes, peut-être innocentes ! » Doute injurieux, qui devait être amèrement relevé par la douleur publique ! Or, comment s’expliquer ce manque de mesure chez un roi naturellement bon et vénéré de son peuple ? N’avait-il pas cédé aux conseils irrités de la Bavière ? C’est une conjecture qui n’est que trop permise. Le cabinet de Munich avait un grand intérêt à entretenir l’irritation de la cour de Dresde ; par là il attirait vers sa politique un des pays protestans de l’Allemagne du nord, Le roi de Saxe, roi catholique au milieu d’une population protestante, a les yeux naturellement dirigés vers la Bavière ; il se tournait de ce côté surtout depuis les évènemens de Leipsig. M. le baron de Beust, ministre de Saxe à Munich, était entouré de conseillers violens qui lui répétaient : « Recommandez l’énergie, et qu’on fasse feu sur cette canaille. » Nous croyons savoir que notre ambassadeur,