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Lamartine, un discours de M. Ledru-Rollin, un autre de M. Garnier-Pagès, ont donné naissance à cette polémique de discorde et de confusion. M. de Lamartine, selon son habitude, accuse tout le monde, et s’isole majestueusement dans le vide de sa pensée et de son parti ; M. Ledru-Rollin se retranche dans un radicalisme exclusif ; M. Garnier-Pagès, au contraire, veut concilier le parti radical avec la gauche et le centre gauche. Il tend la main à M. Barrot, à M. Thiers, pour les entraîner, il est vrai, et pour les faire tomber plus sûrement ; mais cette politique trop habile n’est qu’une intrigue aux yeux des puritains démocrates, qui crient à la trahison, au scandale, comme si on les avait vendus à l’ennemi. Ajoutez que M. Garnier-Pagès rompt formellement avec les fouriéristes et les communistes, tandis que M. Ledru-Rollin les protége ; de là les orageuses colères que soulève contre lui le député de Verneuil dans plusieurs journaux de la démocratie.

Il sera curieux de voir, dans la session prochaine, comment M. Garnier-Pagès entend pratiquer ce système de conciliation qu’il vient d’exposer, et quelles seront ses relations avec la gauche et le centre gauche. Quant à présent, cette question offre peu d’intérêt, et le monde politique est bien loin de s’en préoccuper. Il ne faut pas croire, en effet, que les journaux soient en ce moment le miroir fidèle de l’opinion. Les journaux font tous leurs efforts pour être variés, piquans, amusans : les feuilles radicales, surtout, font une polémique vive et passionnée ; mais l’esprit public reste froid. Pour lui, la politique a cessé momentanément d’exister. Il n’en était pas de même l’an dernier à pareille époque. Alors, si la presse était animée, l’opinion ne l’était pas moins. Des questions graves agitaient les esprits, et donnaient au langage de la presse une excitation qui n’avait rien de factice. Aujourd’hui, ces questions sont résolues ou ajournées, elles ont disparu de la scène ; ce ne sont pas les discours de M. Ledru-Rollin et de M. Garnier-Pagès qui pourront les remplacer, et combler le vide qu’elles ont laissé dans la polémique quotidienne.

Une seule question est capable, aujourd’hui, de fixer sérieusement l’attention publique, c’est celle des chemins de fer. On peut même dire que cette question, depuis un mois, a fait naître dans les esprits des réflexions très graves. L’enthousiasme pour les chemins de fer est toujours le même, et la confiance des capitalistes dans l’avenir de ces entreprises immenses s’est peut-être accrue loin de diminuer ; mais il n’en est pas moins vrai que la situation où l’on est entré appelle les méditations des hommes les plus éclairés et toute la vigilance du gouvernement. Deux grandes lignes, Strasbourg et Lyon, seront adjugées dans les mois de novembre et décembre. Parmi les compagnies qui se sont formées pour concourir à l’adjudication de ces deux lignes, il est à craindre que plusieurs ne soient pas sérieuses, et qu’elles n’aient pas la force nécessaire pour terminer heureusement des entreprises aussi colossales. L’exemple de ce qui s’est passé pour le chemin du Nord, l’intention de se fondre avec une compagnie puissante, peut-être aussi l’espoir d’emporter l’adjudication par un rabais téméraire, lancent tous les matins sur la place des compagnies nouvelles, dont la concurrence improvisée devient