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d’anciens peuples de l’Asie avaient enseignes aux corybantes. Les derviches passent, à Constantinople, pour de fort mauvais sujets, et leurs exercices sont seulement tolérés par le Coran, qui prohibe toutes les danses, ce qui n’empêche pas les Turcs d’aller voir en secret les ballerini, enfans grecs élevés dans l’infamie, qui, vêtus d’un élégant costume et fardés comme des courtisanes, exécutent, moyennant une légère rétribution, une sorte de cachucha lascive et hideuse dans des cafés mal famés.

A l’heure du dîner, nous rentrâmes, mourant de faim, à l’hôtel. Les auberges de Constantinople, dont le tarif est ordinairement de douze francs par jour, sont infiniment plus comfortables, pour le dire en passant, que celles des villes de province en France. On y trouve de jolies chambres bien tapissées, meublées avec une certaine élégance, de bons lits garnis de moustiquaires. La table, qui est toujours présidée par l’hôtesse, est abondamment pourvue et servie à l’anglaise. Les vins de France ne sont même pas beaucoup plus chers à Constantinople qu’à Paris. Le matin, le salon de Mme  Giusepina offre la plus belle collection de robes de chambre turques qui se puisse voir ; le soir, à l’heure du dîner, les conversations les plus animées s’engagent en italien, langue intermédiaire de tous les étrangers dans le Levant, entre les voyageurs de tous pays que le hasard a réunis dans le même hôtel, et qui, d’ailleurs, se sont le plus souvent rencontrés déjà sur les bateaux à vapeur ou dans d’autres villes d’Orient. De ces rapports si fréquens naît d’ordinaire une intimité d’autant plus agréable à Constantinople, que les ressources sociales y manquent complètement. Quiconque n’a pas l’habitude de dormir à huit heures s’y trouve fort embarrassé de sa soirée. Au coucher du soleil, les musulmans disparaissent, et la ville turque sommeille. A Péra, pendant une heure encore, quelques oisifs se promènent au petit Champ-des-Morts, ou vont prendre le café et écouter de mauvaise musique dans un petit jardin semblable à ceux des cabarets de nos faubourgs. La nuit venue, chacun se retire, et, dans les rues désertes, on ne rencontre que des chiens affamés, fort dangereux pour l’étranger qui n’est pas muni d’une lanterne. Les Grecs et les Arméniens, habitans du pays, ont en partie adopté les usages des Turcs ; ils ne reçoivent personne. Les membres du corps diplomatique composent donc seuls, l’hiver, une petite société qui se dissout pendant la belle saison. Dès les premiers jours du printemps, les ambassadeurs abandonnent pour la campagne leurs résidences de la ville, inhabitables depuis l’incendie. La Russie seule a fait relever son hôtel, et l’on ne peut s’empêcher de