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ment leur nourriture ordinaire ; la nuit, ces animaux rôdent souvent par troupes dans les cimetières. Quels que soient leurs moyens d’existence, ils se reproduisent avec une remarquable activité. Il y a quelques années, la race canine s’était multipliée à Constantinople de telle façon, qu’elle y devint fort dangereuse. Au grand scandale des vieux musulmans, Mahmoud, entre autres réformes, fit non pas empoisonner, il ne l’aurait pas osé, mais déporter aux îles de Marmara vingt-cinq mille de ces animaux. En peu de jours, ils eurent en quelque sorte dévoré le lieu de leur exil ; après quoi, mourant de faim, ils firent un tel tapage, poussèrent à l’unisson des hurlemens si plaintifs, que l’on prit pitié d’eux, et ils furent ramenés en triomphe à Constantinople. Fort heureusement, l’hydrophobie est un mal inconnu dans le Levant. L’importation de la rage dans un pays où les chiens, presque aussi nombreux que les hommes, sont beaucoup plus respectés, serait assurément le plus terrible des moyens de destruction.

Ce que l’on visite en premier lieu à Stamboul, ce sont les bazars, immense labyrinthe où l’on est conduit d’ordinaire par un Arménien fort intelligent, qui porte le nom de Ludovic et le titre de parfumeur ordinaire du prince de Joinville. Grace à cette étonnante facilité avec laquelle les Levantins apprennent les langues, Ludovic, ainsi que la plupart des Grecs, même de la plus basse classe, parle non-seulement tous les idiomes de l’Orient, mais encore, avec la plus grande facilité, le français, l’italien, l’allemand, et sert avec probité d’intermédiaire entre le marchand indigène et l'acheteur étranger. Les bazars de Constantinople ont plus d’un rapport avec ceux de Smyrne, et, quoique infiniment plus considérables, ils ne répondent pas davantage aux idées de luxe et de grandeur que nous nous faisons de ces marchés de l’Orient. Les bazars turcs ont toujours un aspect misérable, et ceux de Constantinople, les plus beaux de tous, rappellent moins dans leur ensemble nos élégantes boutiques que les couloirs de nos halles et les piliers du Temple. C’est un immense dédale de larges corridors voûtés comme des tunnels, grossièrement bâtis et éternellement humides. Sur des cordes transversalement tendues sont étalés au-dessus des têtes des tapis éclatans, des étoffes brodées d’or, et d’autres objets dont la richesse contraste singulièrement avec la nudité des murs. Le comptoir est une estrade de bois peu élevée, couverte d’une natte qui sert au marchand de divan, de siège à l’acheteur. De là, les jambes croisées, la pipe à la bouche, le musulman regarde silencieusement passer l’étranger qu’il interpelle rarement du nom d’effendi, tandis que les Arméniens, plus actifs, plus loquaces, le poursuivent, quelque