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ouvrages en maroquin, les babouches de velours, des vêtemens tout confectionnés, des écharpes de soie, des châles de Cachemire, couvrent un espace de plusieurs lieues d’étendue dans ses mille détours. Au Besesteïn, grand bâtiment carré séparé des autres bazars, on trouve en quantité ces vieilles armes recherchées des antiquaires, ces carabines ornées de corail, ces riches yatagans que portaient les janissaires et ces fameux sabres de Perse dont la lame seule, nue et sans ornement coûte quelquefois plus de mille écus, et peut, dit-on, maniée par un bras exercé, abattre d’un seul coup la tête d’un buffle. Là encore on rencontre, en cherchant bien, de belles coupes de jade, des porcelaines du Japon et de Saxe, quelquefois même de précieux morceaux de vieux Sèvres, venus on ne sait d’où.

Le mouvement commercial de Constantinople est étroitement lié à celui de Smyrne, et les considérations générales que nous avons eu occasion de développer en parlant du marché de cette dernière place[1] pourraient retrouver ici leur application. Il est même une observation que l’on doit faire, si l’on ne veut concevoir une idée exagérée du commerce de la métropole : c’est que plusieurs branches importantes de négoce, la soie et l’opium, par exemple, devant venir acquitter des droits de douane dans la capitale, beaucoup de négocians ne les achètent à Constantinople que pour les faire passer à Smyrne, où ils trouvent à les débiter plus avantageusement. De la sorte, ces marchandises se trouvent deux fois portées sur les registres, d’ailleurs fort mal tenus, des douanes turques. La laine, que des circonstances locales attirent tout naturellement vers la capitale, forme la branche principale du commerce de Constantinople. Elle est fournie en abondance par les provinces les plus rapprochées, la Romélie, la Thessalie, la Bulgarie, qui, peuplées de cinq millions d’habitans environ, nourrissent près de huit millions de bêtes à laine. Nous ne croyons guère nous tromper en évaluant à 54 millions de francs la valeur de ces troupeaux. Il était impossible que l’importance d’un tel objet ne tentât pas la cupidité d’un gouvernement constitué comme celui de la Turquie. En effet, en 1829, on voulut ériger la laine en monopole. Heureusement, le désespoir des éleveurs et des conseils plus éclairés firent renoncer à cette mesure, qui devait non-seulement détruire le commerce de la laine, mais encore anéantir, selon toute probabilité, la reproduction des moutons en Turquie. Au lieu de s’approprier complètement cette branche de négoce, le gouvernement la greva d’un impôt tellement

  1. Voyez l’article sur Smyrne, dans la livraison du 1er mai 1844.