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de cette anecdote ? Elle est populaire à Constantinople. Forcer le harem du plus pauvre musulman serait une entreprise peut-être plus périlleuse encore, en ce que l’audacieux coureur d’aventures ne pourrait rester une heure caché dans la petite maison d’un particulier, tandis que les mille détours du sérail et le nombre infini de ses habitans peuvent lui laisser un fol espoir d’évasion. Le chrétien surpris avec une musulmane, fût-elle la dernière des femmes, serait impitoyablement massacré, et son ambassadeur n’oserait pas même réclamer son cadavre. À Constantinople, plus d’un exemple de ces terribles vengeances donne aux amoureux matière à réflexion, et pourtant la crainte de la mort ne peut pas toujours lutter avec l’insouciance de l’amour, ou même avec l’attrait du péril. De temps à autre, quelques aventures galantes, au dénouement tragique, viennent défrayer les conversations des Pérotes. Peu de jours avant mon arrivée à Constantinople, un jeune Arménien d’une admirable beauté avait été remarqué au bazar par une jeune femme turque. Voulant mettre à profit l’absence de son mari, l’infidèle musulmane, sans plus de préliminaires, murmura à l’oreille du jeune homme un mot si séduisant, que celui-ci la suivit. Il avait passé la journée avec elle, et attendait pour fuir l’ombre protectrice de la nuit, lorsque le marteau de la porte retentit violemment. C’était le mari. La maison n’était pas voisine de la mer ; on ne pouvait sauter par les fenêtres ; elle était petite, impossible de s’y cacher ; enfin elle n’avait qu’une seule issue. Comprenant qu’il ne pouvait s’échapper qu’en payant d’audace, le jeune Arménien s’approcha de la porte d’entrée, l’ouvrit brusquement lui-même, renversa d’un coup violent l’époux malencontreux, et, se sauvant à toutes jambes, alla se réfugier à Péra, dans la maison inviolable d’un drogman de l’ambassade de France. Par malheur, le musulman offensé s’était assez tôt relevé pour suivre de loin le séducteur. Ses cris rassemblèrent bientôt autour de lui une foule nombreuse de Turcs furieux. Ces hommes firent entendre des menaces de mort, d’incendie, et réclamèrent hautement le coupable. Le tumulte croissait d’heure en heure, la maison protectrice était cernée, et le drogman ne savait quel parti prendre, quand, le soir, un officier de marine, escorté de deux matelots portant devant lui des lanternes, étant venu le voir, on imagina un moyen d’évasion. Une heure plus tard, l’Arménien, convenablement rasé, vêtu de la vareuse d’un des marins, coiffé de son petit chapeau ciré et tenant en main sa lanterne, sortit de la maison éclairant le lieutenant de vaisseau. Le lendemain, on le fit passer sur un paquebot en partance, et il quitta Constantinople. Quant à la