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vention. Se tromperait étrangement qui comparerait la condition d’esclaves en Turquie au sort des nègres dans le Nouveau-Monde. Ils vivent, dans les maisons turques, comme vivaient les familiers dans les maisons romaines. Les femmes s’associent à l’existence de leur maîtresse, existence monotone, sans grandes joies comme sans grandes peines, où tout est prévu à l’avance, et que la réclusion met presque complètement à l’abri de ces incidens inattendus dont se compose la trame de notre vie. Le sort a cependant réservé de singulières vicissitudes à quelques-unes de ces filles de l’Asie. Si nous ne craignions d’être indiscret, nous pourrions raconter ici l’histoire, encore récente et bien connue dans le nord de l’Europe, d’une belle Grecque qui, vendue au bazar de Constantinople, porta plus tard un nom illustre, devint la femme d’un général célèbre et la première dame d’honneur d’une grande impératrice. Peut-être même, sans aller si loin, trouverions-nous dans la société parisienne actuelle plusieurs exemples de ces jeux du hasard.

Entre le marché aux esclaves et les temples de la religion, la pensée met une grande distance ; mais, comme en réalité à Constantinople les principales mosquées sont rapprochées des bazars, je profiterai du voisinage, et passerai, sans autre transition, à Sainte-Sophie. Les portes des mosquées et du vieux sérail ne sont plus fermées aux infidèles. En Turquie, la cupidité a vaincu l’intolérance religieuse. Il suffit maintenant d’acheter un firman, de donner aux officiers des pour-boire, en un mot, de dépenser cent écus environ pour visiter les temples de l’islam et l’ancienne résidence des sultans. Il me semble tout-à-fait inutile de parler de l’intérieur peu remarquable du vieux sérail, de ses salons ornés de dorures du temps de Louis XV, de trumeaux, de mauvaises fresques, meublés de fauteuils d’acajou et de pendules dans le goût de l’empire. Cela ressemble à tous les châteaux royaux du monde, et les jardinets qui précèdent les établissemens de bains à Paris peuvent donner une idée des jardins trop fameux du sérail. Ce sont des parterres très corrects où les bordures de buis classiques dessinent agréablement des losanges, des triangles et des cœurs enflammés. Dans le temps où l’on ne pénétrait dans les mosquées qu’au risque de sa vie, ou en vertu de rares privilèges, on a fait aussi de fort belles descriptions de Sainte-Sophie. Maintenant que tout voyageur peut visiter pour son argent les temples musulmans, il faut bien dire la vérité, et je dois avouer qu’en visitant la basilique de Constantin, je n’ai pas ressenti l’admiration à laquelle m’avaient préparé de pompeux récits. Sainte-Sophie, construite par Constantin,