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cheval gris, au poitrail duquel brillait un énorme diamant. Ce jeune homme, coiffé d’un fez rouge orné d’une aigrette de pierreries et couvert d’un long manteau noir d’une coupe sévère, que retenait au cou une agrafe de brillans, était le sultan Abdul-Medjid. Une foule d’officiers et d’eunuques à cheval le suivaient à une distance respectueuse, et toutes les têtes s’inclinaient profondément sur son passage. Abdul-Medjid, le vingt-unième enfant de Mahmoud, est né à Constantinople, le 19 avril 1823. Sa barbe noire et épaisse le fait paraître plus vieux que son âge. Sa taille est élancée, il a l’œil brillant, les traits réguliers, la physionomie un peu triste. Son visage est légèrement marqué de petite vérole, mais ce défaut est d’autant moins visible que le jeune sultan, selon la mode du harem, prend soin de se composer, pour les jours de cérémonie, un teint artificiel. D’une complexion délicate, les excès ont de bonne heure affaibli sa poitrine. Ses indispositions continuelles, sa pâleur excessive, ses dents déjà mauvaises annoncent qu’à vingt-deux ans il expie ses plaisirs de sultan par une décrépitude prématurée. Abdul-Medjid a déjà plusieurs enfans ; ils sont débiles comme leur père, et leur santé inspire les plus vives inquiétudes.

Au sortir de la mosquée, le sultan va d’ordinaire faire une visite à la sultane validé (la sultane-mère). Désirant voir défiler encore une fois le cortége, j’entrai dans un café voisin pour attendre la fin de la prière. L’intérieur de ce café rempli de monde formait avec le spectacle brillant auquel je venais d’assister le plus singulier contraste. Rien n’est moins élégant : qu’un café turc, et la plus pauvre taverne de la Cité est de beaucoup plus comfortable. Qu’on se figure une chambre sale et basse, où les fourneaux de pipes entretiennent sans cesse une épaisse fumée. Autour des murs, sur des planches de bois, sont rangés des verres, des tasses et des narghilés. Un grand réchaud fume au milieu de la salle. A travers l’atmosphère odorante et vaporeuse, on voit une ligne de vieux Turcs accroupis comme des singes le long des murs. Le maître de l’établissement cumule ordinairement les fonctions de cafetier et de barbier. Il rase en même temps ses pratiques et leur sert de La limonade. Au moment où j’entrai, le padrone, assis sur sa natte, maintenait délicatement par le nez, sur ses genoux, la tête demi pelée d’un vieil Arménien couché tout de son long devant lui. Après lui avoir barbouillé cette tête de savon, il la rasait depuis la nuque jusqu’au menton, interrompant à chaque instant sa besogne tantôt pour passer son rasoir sur une grande lanière de cuir, pour servir un consommateur nouvellement arrivé. Pendant ces entr’actes, l’Arménien, un œil fermé, le cou nu, la bouche