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abondante et magnifique narration, déroule les évènemens en homme plus préoccupé du soin de les faire bien connaître que du désir de les juger lui-même, et c’est précisément par cette sorte d’abnégation qu’il est grand et utile. Quel mécompte, pour nous autres modernes, si Tite-Live eût plutôt raisonné que conté ! Que de points obscurs ! que de faits perdus ! Heureusement les esprits supérieurs ont une netteté égale à leur force ; ils discernent du premier coup leur mission, leur but. En face des anciens temps de la république, Tite-Live ne s’est pas érigé en raisonneur, il a préféré le rôle de témoin impartial, et il lui est advenu de partager l’immortalité de cette Rome qu’il a su peindre avec une si éloquente vérité.

Chaque jour moissonne les derniers témoins de l’époque consulaire et impériale, les acteurs des quinze premières années de notre siècle. L’enfance des hommes qui ont quarante ans aujourd’hui a été affligée par les revers de la France et de Napoléon, sans pouvoir se rendre compte de ce douloureux spectacle. L’ignorance des générations qui nous pressent est plus grande encore, et nous dirions volontiers qu’avant le livre de M. Thiers elles connaissent mieux le siècle de Périclès ou celui de Louis XIV que l’époque napoléonienne. Cette lacune est aujourd’hui comblée. Grace à un livre qui se trouve maintenant dans toutes les mains, les hommes qui sont en possession du présent, ceux qui disposeront de l’avenir, apprennent l’histoire d’un temps où a été fondée d’une manière impérissable l’égalité civile, et le nom de la France porté dans tous les coins de l’univers. Cette histoire, quand ils l’auront apprise, ils pourront la juger.

Un des principaux mérites du livre de M. Thiers est d’offrir une large et solide base à tous les commentaires, à toutes les spéculations, à tous les raisonnemens politiques qui voudront se donner carrière sur cette grande époque. Il y a dans son ouvrage une telle abondance de faits et de points de vue qu’on y trouve même des armes contre les opinions, contre les solutions que parait préférer l’auteur. Pour M. Thiers, l’historien n’est pas un avocat, un souteneur de thèses ; il doit être le plus véridique comme le plus intelligent des témoins. Sans doute, ce témoin a reçu du spectacle des choses des impressions qu’il peut faire connaître ; mais, avant tout, il doit livrer tous les élémens du procès, jusqu’aux moyens de discuter ses propres sentimens L’impartialité de M. Thiers est inaltérable. S’il eût été possible que l’Histoire du Consulat et de l’Empire parût sans qu’on en connût l’auteur, on eût cherché avec curiosité quel était cet écrivain d’un esprit si équitable et si libre. Eh bien ! cet historien dont la sérénité,