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Sans nous arrêter sur la partie militaire de l’Histoire du Consulat et de l’Empire, dont les mérites ont été si généralement reconnus, comment ne pas relever, dans le quatrième et le cinquième volume, la description du camp de Boulogne, la peinture des immenses préparatifs de Napoléon, tant dans leur ensemble que dans leurs détails, la critique raisonnée de toutes ses combinaisons pour amener une flotte française dans la Manche au moment décisif de la descente en Angleterre ? Tout cela est nouveau, en ce sens que jamais le dessein de Napoléon de joindre et d’abattre la puissance britannique dans Londres même n’avait été si positivement établi. On assiste à toutes les préoccupations de l’empereur, à sa correspondance, à ses entretiens avec ses ministres et ses amiraux, à sa longue attente sur la plage de Boulogne, enfin à sa colère, à sa douleur, quand il apprend que l’inexplicable entrée de Villeneuve dans le port de Cadix a détruit toutes ses espérances. Tout à coup cependant Napoléon se calme et se met à dicter à M. Daru le plan de la campagne d’Austerlitz. Il est impossible d’oublier ces choses après les avoir lues ; elles restent ineffaçables dans la mémoire, dans la pensée. Ce dessein que Napoléon n’a pu exécuter sera placé désormais à côté des plus grandes entreprises qu’il ait accomplies, tant sa volonté jusqu’au dernier moment a lutté contre la fortune !

On s’explique les soins que devait prendre l’Angleterre pour fomenter en Europe une coalition. Jamais, dans sa longue rivalité contre nous, elle n’avait couru un aussi grand danger, parce que jamais la puissance française n’avait été conduite avec autant de génie. Les hommes d’état qui dirigeaient les affaires de la Grande-Bretagne devaient vouloir à tout prix créer une diversion, formidable qui retînt Napoléon sur le continent, et, par une coïncidence pour eux fort heureuse, il se trouva que la Russie, par de tout autres motifs que ceux qui animaient l’Angleterre, était disposée à se prêter à ses desseins. Toutes les circonstances diplomatiques qui précédèrent l’explosion de la troisième coalition sont racontées, dans le cinquième volume de M. Thiers, avec des détails nouveaux et piquans. Il y avait alors auprès des jeunes ministres de l’empereur Alexandre, auprès du prince Czartoryski et de MM. de Strogonoff et de Nowosiltzoff, un de ces aventuriers doués quelquefois de facultés éminentes, qui, dans une situation subalterne conçoivent des plans qui ne sont pas toujours méprisables. Un abbé Piatoli, qui de Pologne avait passé en Courlande et de Courlande en Russie, avait imaginé un plan d’arbitrage et d’équilibre européen qu’il avait intitulé alliance de médiation. Dans ce plan qu’il était parvenu à faire goûter au prince Czartoryski, la Russie