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sur les ruines de nos facultés la trace du principe immortel qui les animait.

De toutes les formes du délire, l’hallucination est peut-être celle qui, à notre avis, dévoile le mieux, par le trouble même des sensations, le principe moral de notre nature. L’halluciné communique avec des esprits ; il parle, si l’on ose ainsi dire, avec ses idées ; il habite un monde invisible où il transporte souvent toutes ses affections. L’excès d’une faculté quelconque prouve du moins l’existence de cette faculté. Quand le sévère Broussais, entraîné, vers les derniers temps de sa vie, à la doctrine de Gall, rencontrait sur le cerveau de l’homme l’organe de la surnaturalité, il s’étonnait ; la pensée du grand chef d’école, si souvent entachée de matérialisme, se demandait comment la nature avait pu mettre en nous une fonction sans usage, ou qui ne s’exerçait que sur des chimères. Sous ce rapport du moins il avait raison de s’étonner. Que serait une faculté sans objet, et comment le prévoyant auteur des choses aurait-il mis dans la tête de l’homme une force qui ne répondrait à rien ? C’est assurer notre ame de l’existence d’un monde invisible, que de lui en donner l’idée et de lui en faire sentir le besoin.

Plusieurs travaux récens témoignent de l’importance qu’attache de nos jours la science médicale à l’étude des hallucinations. L’examen de ces travaux nous permettra de préciser l’état actuel de nos connaissances sur quelques points relatifs à ces affections mystérieuses ; nous serons par là mieux préparé à considérer ce phénomène en lui-même, dans ses causes, dans ses formes, dans ses rapports avec l’histoire et avec la législation, dans ses changemens climatériques, enfin dans la résistance qu’il oppose aux divers traitemens.

Les hallucinations sont aussi anciennes que le genre humain ; mais voici à peine un demi-siècle qu’elles sont entrées dans la science. Rattachées à diverses causes surnaturelles, attribuées ici an principe du bien et là au principe du mal, elles ont rencontré des fortunes très diverses. Dans le premier cas, elles se trouvaient encouragées, honorées, consultées : dans le second, elles étaient réputées criminelles et encouraient toute la sévérité des lois. Au moyen-âge, ces phénomènes étaient rapportés tantôt à Dieu et tantôt au diable, quelque fois même à l’un et à l’autre, suivant les juges, les évènemens et les lieux : témoin Jeanne d’Arc, inspirée en-deçà du détroit, sorcière au-delà. La théologie avait partout devancé la médecine dans la connaissance des faits ; les procès-verbaux des cours de justice et les ouvrages des anciens casuistes contiennent des exemples d’hallucination