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de justice envers les sorciers a été vraiment révoltante, surtout quand on songe que ces hommes se montraient de bonne foi, et qu’ils étaient, pour ainsi dire, allés au sabbat sans leur volonté. Telle est, du reste, la marche de toutes les doctrines qui exaltent l’imagination des masses : elles produisent des fous, et ces fous engendrent des martyrs.

Ce ne sont pas seulement les sorciers, les oracles, les devins, les illuminés, qui se trouvent rattachés par l’étude à la famille des hallucinés. Si les hommes de nos jours qui croient communiquer avec un esprit sont fous, Socrate, qui entendait une voix et qui croyait à l’assistance de son démon familier, qu’était-il ? M. Lélut a consacré un livre à l’examen de cette question ; sa réponse est : oui, Socrate était atteint de folie. M. Leuret a porté plus loin son investigation ; il a étendu son criterium aux prophètes. MM. Lélut et Leuret se montrent logiques, car, après avoir admis l’hallucination sur les indices fournis par l’histoire et l’Écriture, ils concluent courageusement à la folie. On n’en peut dire autant de M. Brierre, qui admet les mêmes indices, du moins en ce qui regarde Socrate, Luther, Jeanne d’Arc, Loyola, et qui n’aboutit à aucune solution. Que ces hommes-là aient été les représentans d’une idée, qu’ils aient été hallucinés par dévouement, par enthousiasme, que l’état de la société concourût à leur fournir les élémens d’une telle erreur, j’en conviens ; mais, encore une fois, ce n’est pas là détourner de leur tête le soupçon de folie. Une cause ne nie pas un effet, elle l’affirme. Nous ne dirons point d’un autre côté avec M. Lélut : « L’humanité, qui s’enorgueillissait naguère des prodiges d’une raison sublime et créatrice, n’a plus qu’à se voiler la tête pour pleurer la perte, désormais irréparable, d’un de ses plus glorieux enfans. » Non, l’humanité ne se voilera pas la tête, car Socrate n’est pas déchu pour cela du trône de la philosophie. C’est surtout dans les écarts de la nature qu’on retrouve plus visible l’impression de la main de Dieu ; soit qu’elle élève les hommes, soit qu’elle les abaisse, elle a soin de les revêtir de traits et de caractères singuliers qui annoncent son dessein en les créant. Tous les anciens visionnaires ont puisé dans l’erreur même de leurs sens une force de volonté incomparable, une confiance sans bornes ; moins fous, ils eussent sans doute été moins grands. Qui sait, en effet, si la folie n’est point un moyen violent, une épreuve douloureuse dont se sert quelquefois la Providence pour mettre la raison humaine sur la trace de vérités occultes et supérieures ?

M. Brierre affirme qu’on ne retrouve plus rien de pareil aux anciens visionnaires chez les aliénés de nos établissemens. Pour juger