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la côte et les brigands des montagnes se joignent à eux. L’émeute, qui a commencé dans le village de Markstein, se dirige vers le château du comte de Stolberg, que l’on met en cendres. Le triomphe définitif du chartisme couronne l’œuvre et s’étend à l’Europe entière.

On aurait tort de regarder ces manifestations comme des présages de révolution imminente. La situation de l’Angleterre est fort différente de la nôtre, soit avant, soit après la révolution française. C’est un déploiement exagéré de forces, aboutissant à une puissance inouie et factice ; c’est une surexcitation intellectuelle et physique qui, sur certains points, détermine une opulence excessive, sur d’autres, une détresse absolue. D’énormes masses de population, concentrées soit pour l’exploitation des mines, soit pour le travail des manufactures, fournissent au pays ces cotonnades, ces fers et ces aciers dont il couvre la face du globe. Là, aucun lien de sympathie mutuelle n’attache l’homme à l’homme ; rien ne lui apprend la gratitude envers la société, le respect envers lui-même ; point d’écoles, point d’églises, peu de mariages, à peine un foyer domestique. L’existence sauvage, chose étrange, renaît sous l’influence de l’industrie, comme elle reparut au moyen-âge, sous I’influence guerrière de la chevalerie chrétienne. Forcés de soutenir un système artificiel par des lois restrictives et des impôts onéreux, les législateurs accroissent le mal ; le pain devient plus cher, le travail plus rare. A des périodes d’activité et de gain succèdent des époques de détresse, de repos forcé et de profond malheur. De là, imprévoyance immoralité, abrutissement. Des bandes de sauvages se réunissent à la lueur des fournaises de Sheffield et de Birmingham, ou dans les cavernes au charbon du Staffordshire, et vont, la torche et la pioche en main, détruire les propriétés des maîtres. Des orateurs improvisés se présentent, et l’œuvre de destruction s’accomplit avec une sorte de régularité légale et funèbre, pendant que les soldats s’avancent avec la même régularité, dispersent ces malheureux, tuent quelques hommes, font quelques prisonniers, et se retirent en silence.

Il n’y a pas de mouvement social réel qui ne trouve une expression poétique ; celui-ci, non-seulement les œuvres chartistes le décrivent et le signalent, mais une classe de poètes aristocratiques assez nombreux s’en empare, et à leur tête la femme-poète qui montre aujourd’hui le plus de talent, mistriss Norton. Son dernier poème, the Child of the Islands, n’est pas autre chose qu’une comparaison de la vie du pauvre et de la vie du riche à travers toutes les saisons de l’année, un parallèle fatigant de monotonie et de longueur, malgré l’éclat et la