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Cette énergie d’attitude et de langage a rencontré une approbation presque générale, et, en même temps, elle a réveillé tous les griefs de l’opposition. Ce double effet était à prévoir. Si le ministère montrait au pays que sa sollicitude était tout-à-fait éveillée sur les dangers de notre situation en Afrique, de son côté, l’opposition usait de son droit en rappelant qu’elle avait prévu et prédit solennellement ce qui arrive aujourd’hui. Reportons-nous en effet aux longues et vives critiques dont a retenti la tribune au sujet du traité de Tanger ; rappelons-nous les discours non-seulement des orateurs les plus ardens, mais des hommes les plus pratiques et les plus modérés. Ne disait-on pas au cabinet, sur tous les tons, que, s’il avait su vaincre, il n’avait pas su profiter de la victoire ? C’était la première fois qu’on comparait le ministère à Annibal. Quand donc l’opposition trouve dans ses prévisions de l’hiver dernier des argumens pressans contre le cabinet, elle est dans toute la vérité de son rôle. Devant ces souvenirs, devant ces vifs reproches, le cabinet ne reste pas sans réponse : on déclare en son nom que ce qui est possible aujourd’hui ne l’était pas l’an dernier. En 1844, nous avions deux ennemis, l’empereur du Maroc et l’émir ; aujourd’hui, nous n’en avons plus qu’un. Enfin, l’année dernière, l’Angleterre avait des ombrages qu’elle n’aura plus aujourd’hui, et c’est là ce qui surtout enhardit le ministère. On se flatte, au sein du cabinet, que l’attitude du gouvernement anglais, dans la question de l’Afrique, viendra donner une nouvelle preuve de l’entente cordiale. Le gouvernement anglais aurait promis de transmettre à ses agens dans le Maroc des instructions dont nous n’aurions qu’à nous applaudir les agens de la Grande-Bretagne conseilleraient à Abderrhaman de ne pas se refuser aux justes demandes de la France. Le cabinet français n’a pas la prétention que les troupes marocaines se mettent en ligne avec nos troupes pour faire la chasse à Abd-el-Kader, mais il voudrait que l’empereur employât sa garde noire, sur laquelle il peut surtout compter, à interdire l’entrée du Maroc à l’émir, qui aujourd’hui trouve son point d’appui dans les peuplades du Riff. Si, quand Abd-el-Kader sera serré de près par nos troupes, les frontières du Maroc lui étaient entièrement fermées, nous serions bien près d’en finir avec lui. Telles sont les espérances du cabinet ; il se flatte de trouver aujourd’hui dans Abderrhaman, non plus un ennemi, mais un allié, et il espère que, dans ses efforts pour arriver à un dénouement, il sera secondé par le gouvernement anglais, loin d’en être entravé. Tout cela ne laisse pas que de lui enfler le cœur ; il se voit, dans deux mois, en situation d’insérer dans le discours de la couronne une phrase victorieuse, et de confondre l’opposition par l’accablante réponse de faits éclatans. En laissant voir de pareilles espérances, le ministre n’avoue-t-il pas implicitement qu’il a besoin d’un triomphe pour défendre sa politique ?

Cependant d’autres ennuis devaient assaillir le cabinet, nous voulons parler de ses rapports avec M. le maréchal Bugeaud. Ici nous nous trouvons dans la sévère obligation de dire la vérité à tout le monde ; nous la dirons à