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Qu’est-ce donc que les piétistes ? Ici ne calomnions personne. Les piétistes étaient inévitables dans le protestantisme, puisqu’il y avait des rationalistes. Nous n’avons pas besoin d’insister sur ce point, que la réforme devait nécessairement conduire un grand nombre d’esprits à un rationalisme chrétien plus ou moins absolu ; mais, par une conséquence non moins inévitable, cette tendance devait susciter une réaction. Comme il y avait des protestans rationalites il y eut des protestans mystiques qui voulurent défendre tout ce que le christianisme contient de surnaturel et d’humiliant pour la raison. Ce sont là les piétistes, qui ne se bornèrent pas à ce point de vue spéculatif, mais qui marchèrent ouvertement à la conquête de la suprématie dans l’église protestante, et d’une grande influence politique dans l’état. En ce moment, les piétistes comptent deux ministres dans le cabinet prussien, MM. de Thiele et Eichhorn : c’est grace à ces deux ministres qu’ils arrivent à toutes les places des consistoires, invasion qui donne à l’église, dans ses rapports avec les laïques, une tracassière intolérance. La municipalité de Berlin a pris le parti de s’en plaindre directement au roi, qui, de son côté, a nié le droit que pouvaient avoir les magistrats municipaux de s’immiscer en de semblables questions. C’est ici que s’est trouvé dans sa bouche l’éloge des piétistes, et Frédéric-Guillaume IV est tombé dans la faute de parler plus en sectaire qu’en roi.

Pendant que sur quelques points de l’Europe l’agitation est surtout religieuse, là où il y a de l’agitation, d’autres régions du monde sont troublées par de grandes questions politiques. Tout ce que l’Europe semble avoir publié pour se livrer exclusivement à la construction des chemins de fer, c’est-à-dire les révolutions et les projets de conquête, tout cela agite et bouleverse certaines parties de l’Amérique, notamment le Mexique. Comment donner une idée de l’état où se trouve l’ancien royaume de Montezuma ? Cet état, nous ne pouvons l’appeler ni une révolution, ni un accident politique : non, c’est une décomposition qui semble marcher plus vite qu’on ne l’avait conjecturé d’abord. Des provinces entières se séparent de l’empire, comme des membres qui se détachent du corps. À l’heure qu’il est, la Haute-Californie n’appartient plus, à vrai dire, au Mexique ; le commandant de la province en a été chassé dans le mois de mars de cette année. Le gouvernement mexicain a voulu organiser une expédition pour reconquérir la Haut-Californie, mais il n’avait pas d’argent, et le pouvoir central a dû renoncer à rentrer en possession de cette province, qui, depuis cette époque, se gouverne et s’administre elle-même. Dans l’état de Sonora, le général Urrea s’est déclaré indépendant, et ici encore le gouvernement mexicain n’a pu avoir raison du rebelle. Enfin, on se représentera l’impuissance de ce malheureux gouvernement, quand on saura qu’il ne touche plus une piastre des revenus de la douane de Guaymas. Peut-être dans quelques mois le Nouveau-Mexique offrira le même spectacle que l’état de Sonora et la Californie. D’autres états, tels que ceux de Durango et de Zacatecas, ont cruellement à offrir de l’incursion des Indiens, et la métropole est impuissante à les protéger.