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hommes éminens de la chambre une occasion d’exprimer leur opinion. Il faut pourtant le dire, ce débat ne brilla ni par la grandeur des idées ni par la nouveauté des argumens. Des droits de l’Irlande et de ses maux il fut peu question et encore moins des moyens à prendre pour faire rentrer ce malheureux pays dans la grande famille nationale. En revanche, on discuta beaucoup, longuement, sur l’opportunité et les incidens du procès, sur l’attitude et les paroles des avocats de la couronne, sur un cartel notamment que l’attorney-general, M. Smith, avait adressé à un des défenseurs. Seul, M. d’Iraëli eut l’art de réveiller l’attention assoupie par une dissertation historique où il s’efforça d’établir que les véritables oppresseurs de l’Irlande étaient les whigs, héritiers naturels des puritains, et non les tories, venus en ligne directe des cavaliers et du parti de la haute église ; jeu d’esprit assez ingénieux, assez piquant, mais qui ne pouvait tenir une minute contre de tristes et récens souvenirs.

Beaucoup de timidité du côté des whigs, peu de confiance du côté des tories, voilà quel fut le principal caractère de ce long débat, où plus d’une fois le langage des chefs de parti parut se confondre, et qui se termina par un vote de 324 voix contre 225. Il fut pourtant marqué par un incident fort curieux et fort significatif. Aussitôt après le verdict du jury, O’Connell avait quitté Dublin pour se rendre à Londres, et il vint prendre sa place au milieu de ses collègues pendant qu’on discutait la motion de lord John Russell. Quand il parut, l’opposition presque entière le salua des plus vives acclamations, et ces manifestations ne se renfermèrent pas dans l’enceinte du parlement. A Birmingham, à Londres, ailleurs encore, des réunions eurent lieu, réunions vraiment populaires, où O’Connell fut accueilli avec enthousiasme et couvert d’applaudissemens. Faut-il en conclure que soit l’opposition parlementaire, soit les masses populaires sympathisassent avec les doctrines, avec les sentimens, avec les projets d’O’Connell, et que le Saxon si souvent outragé se fût soudain pris pour celui qui l’outrageait l’une affection singulière ? Pas le moins du monde. Comme Irlandais et comme catholique, O’Connell ne cessait pas d’être suspect, si ce n’est odieux, à l’Angleterre protestante : par ses injures au Saxon comme par ses projets de séparation, il avait en outre irrité, soulevé toutes les passions nationales ; mais en février 1844 O’Connell, condamné par un jury partial, apparaissait à l’Angleterre libérale comme le champion, comme le martyr du droit et de la liberté. Devant ce saint caractère s’évanouissaient tous les préjugés et toutes les haines. Ce n’était point O’Connell qu’on applaudissait, c’était un principe, le