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On conçoit l’effet que produisit cette déclaration sur les tories dissidens, sur ceux du moins qui ne voulaient pas pousser les choses jusqu’au bout. Vainement lord John Russell, lord Palmerston, M. Sheil s’efforcèrent-ils successivement de les piquer d’honneur en leur représentant qu’on leur demandait de défaire ce qu’ils avaient fait, et d’aliéner une fois pour toutes leur liberté au profit de sir Robert Peel. Des tories dissidens pas un n’osait rendre coup pour coup, quand un homme de beaucoup d’esprit, M. d’Israëli, releva le gant pour son compte, et donna un libre cours aux sentimens qu’il contenait depuis long-temps. « C’est pour la seconde fois depuis un mois, dit M. d’Israëli, que sir Robert Peel demande à ses amis de se déjuger. En vérité, après tout ce qu’ils ont fait pour lui, il devrait les traiter avec un peu plus de délicatesse et ne pas les traîner sans nécessité dans la boue. C’était assez de leur avoir fait subir une fois pendant la session la dégradation dont il les menace encore. Sir Robert Peel ferait bien au moins d’établir le tarif de l’indépendance parlementaire, afin que chacun sut d’avance jusqu’où il peut aller et à quoi il s’expose. L’honorable baronnet s’est toujours donné comme un partisan décidé de l’émancipation des noirs ; mais il paraît que son horreur pour l’esclavage ne s’étend pas aux bancs qui sont derrière lui. Là la chaîne est toujours en usage, et le fouet se fait rudement sentir. Tout ce qu’on lui demande, c’est d’avoir la main légère, et de ne pas frapper trop fort. » Il est inutile de dire qu’après un tel discours M. d’Israëli vota contre le cabinet ; toutefois son exemple ne fut suivi que par un bien petit nombre de ceux qu’il avait si rudement traités en les défendant, et sir Robert Peel obtint pour son chiffre de 24 sh. 255 voix contre 233. Il est vrai qu’une dizaine de libéraux, M. Cobden, M. Bouverie, M. Warburton, M. Gibson qui trouvaient l’amendement de M. Miles plus favorable aux planteurs que le projet primitif, votèrent contre cet amendement. Ainsi finit plus misérablement encore que la première la seconde insurrection tory.

Par sa fermeté dans cette affaire, sir Robert Peel venait de prouver que le parti tory avait un maître, et que ce maître aimait mieux abdiquer que de laisser le pouvoir s’abaisser et s’avilir entre ses mains. La victoire était donc complète mais de telles victoires honorent ceux qui les remportent plus qu’elles ne les fortifient Une portion des tories dissidens avait résisté au bâton de sir Robert Peel et voté contre lui malgré sa démission formellement annoncée. Une autre portion s’était soumise, la rage dans le cœur, la honte sur le visage, et en gardant au maître une profonde rancune. Tout cela ne rétablissait