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rappel une séparation absolue. Pour elle, la substitution du rappel fédéraliste au rappel pur et simple était donc un changement grave, et presque une trahison. De ce côté par conséquent, O’Connell, retiré momentanément à Derrynane, eut à subir, à repousser de violentes attaques. D’un autre côté, les gens sensés en Angleterre ne tombèrent pas dans le piége, et s’aperçurent facilement que les deux rappels étaient frères. Enfin, MM. Grey-Porter et Sharman-Crawford mirent au monde des projets si informes, si absurdes, si impraticables, que, malgré une demi-adhésion de M. Sturge, un rire général les accueillit, à Dublin comme à Londres. O’Connell alors jugea qu’il était temps de faire volte-face, et de jeter à l’eau M. Grey-Porter et M. Sharman-Crawford. Tout à coup donc on le vit reparaître à College-Green, la tête ornée d’un bonnet d’une forme originale, et recommencer, avec sa verve ordinaire une nouvelle campagne, dans laquelle ni les libéraux anglais, ni la jeune Irlande, ni les journaux de Paris ne furent épargnés. Quant au rappel fédéraliste, que depuis un mois il traitait avec tant de respect, avec tant de ménagement, voici tout simplement comment il s’en débarrassa. « Je vais, dit-il en se tournant l’un air goguenard vers son auditoire, je vais vous dire un secret. Le rappel fédéraliste ne vaut pas cela. » En prononçant ces derniers mots, il fit claquer ses doigts comme un écolier, et se rassit au bruit des rires et des applaudissemens.

Il faut en convenir, la façon était un peu leste, et dut assez mal réussir, surtout auprès des fédéralistes et de ceux qui, en Angleterre et en Écosse, avaient pris au sérieux la dernière démonstration d’O’Connell. Elle ne réussit guère mieux auprès de la jeune Irlande, qu’O’Connell avait fort attaquée tout en lui cédant. En reprenant la vieille bannière du rappel, le grand agitateur retrouvait d’ailleurs en face les adversaires qu’il avait voulu désarmer, les embarras auxquels il avait tenté d’échapper. C’était, en somme, une mauvaise campagne. Cependant dans une autre question, celle des dons et legs charitables (bequests-bill), il fit une faute bien plus grave, une faute dont, à l’heure qu’il est, il ne s’est pas tout-à-fait relevé. Ce bill, ainsi que je l’ai dit, avait pour objet de régulariser, de faciliter les fondations catholiques en les faisant examiner par une commission mixte, au lieu de les soumettre, comme par le passé, à une commission exclusivement protestante. Quelques évêques néanmoins, à l’instigation d’O’Connell, l’avaient repoussé comme insuffisant et injurieux pour l’Irlande, et depuis ce moment O’Connell lui-même ne cessait d’appeler sur ceux qui feraient partie le l’infame commission toute la