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des radicaux et des tories qui fraternisaient dans un sentiment commun d’exécration contre sir Robert Peel, et qui le dénonçaient comme coupable de haute trahison ; puis, sur tous les murs, dans toutes les boutiques, les placards les plus injurieux et les plus menaçans, les caricatures les plus mordantes et les plus personnelles. Au milieu de ce mouvement singulier, on vit jusqu’à certains membres du parlement, M. Ferrand entre autres, promettre la mise en jugement du premier ministre et sa condamnation. Dans tous les meetings, au reste, le caractère religieux de la crise se manifestait par les signes extérieurs les plus curieux et les plus frappans. Un jour, la séance commençait par une prière contre la bête papiste, prière à laquelle tout l’auditoire répondait par un amen bruyant et prolongé ; un autre jour, au théâtre de Covent-Garden, le président débutait par entonner un psaume que tous les fidèles chantaient en chœur avec lui. On eût dit, au milieu du XIXe siècle, les vieilles scènes puritaines du XVIIe, ces scènes si bien décrites par Walter Scott, et dont personne n’eût imaginé le retour.

Je le répète, ce ù’est point sans surprise que sir Robert Peel vit éclater la tempête, et peut-être, s’il l’eût prévue, ne l’aurait-il pas affrontée ; mais, une fois la lutte engagée, il la soutint avec autant de fermeté que de sang-froid. A plusieurs reprises, des députations de ministres anglicans et dissidens vinrent le trouver pour le supplier d’abandonner le bill, et, de ces députations, une se présenta comme déléguée par 10,163 congrégations, dont 4,700 wesléiennes, 2,550 indépendantes, 1,700 baptistes, et 1,200 églises libres d’Écosse. A leurs prières comme à leurs menaces, sir Robert Peel opposa constamment un refus poli, mais positif. De plus, sur une interpellation qui lui fut adressée, il n’hésita pas à déclarer dans le parlement qu’il faisait du tevo de Maynooth une question de cabinet, et que tous ceux qui tenaient au gouvernement devaient voter avec lui. Quant aux whigs, leur conduite ne fut pas moins honorable et désintéressée. Outre que l’occasion de renverser sûrement le cabinet s’offrait à eux, beaucoup de whigs comptaient parmi leurs commettans de chauds adversaires du bill. Chaque jour, il leur arrivait des adresses où la majorité de leurs amis leur enjoignait de voter contre Maynooth, sous peine de perdre leur siége à la prochaine élection. Sans se laisser séduire ni intimider, les whigs persistèrent noblement dans leur détermination, et, à bien peu d’exceptions près, refusèrent de sacrifier les principes et le bien du pays à un intérêt passager. Seulement, comme on va le