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esprits émus eux ou trois chants pleins d’une généreuse colère. Le jeune poète perdit sa place et fut envoyé à Fouide. Là, il retrouva, comme à Hesse-Cassel, toutes les tracasseries d’une police inepte ; ajoutez-y les ennuis intolérables d’une petite ville, l’inquisition grossière d’un clergé ignorant, et toutes les sottises d’une bourgeoisie en retard d’un siècle au moins sur tous les points de philosophie et de religion. On s’imagine aisément ce que dut souffrir ce poète de vingt-six ans dans toute l’ardeur de sa loyale jeunesse. L’amitié d’un publiciste célèbre, M. Henri Koenig, qui se l’attacha promptement par une parfaite communauté de sentimens et de douleurs, ne réussit pas à conjurer les légitimes révoltes de sa pensée. Il lutta d’abord avec courage ; mais il se sentit bientôt pris d’un dégoût profond : pourquoi consumer sa vie dans ces luttes obscures ? pourquoi n’avoir jamais devant les yeux que ces tristes images de la laideur morale ? C’était étouffer trop long-temps dans cette atmosphère malsaine ; il rompit sa chaîne et s’enfuit. Il voyagea pendant trois ans en Allemagne, en France, en Angleterre ; les Chants du Veilleur de nuit, quelques articles dans les journaux littéraires, plusieurs pièces de vers vraiment remarquables que nous allons retrouver dans son volume, ont conservé le souvenir et marqué la trace de ses pèlerinages. Enfin, l’année dernière, il se disposait à partir pour l’Orient, où il devait être correspondant de M. Cotta, quand une auguste et libérale protection attacha le poète à son pays : le roi de Wurtembert l’appela auprès de lui, et le nomma son bibliothécaire. M. Dingelstedt est maintenant à Stuttgart ; après une première jeunesse errante, aventureuse, il a trouvé, jeune encore, une paisible retraite, et c’est de ce charmant asile, embelli par les joies de la famille, que nous arrive ce recueil aimable et grave, ce témoignage sincère d’un esprit généreux Iong-temps tourmenté, inquiet, doucement apaisé aujourd’hui, et tout-à-fait maître de son inspiration.

On m’assure que M. Dingelstedt ne reparaît pas sans frayeur sur la scène littéraire. Cette publication de ses poésies est pour lui une difficile épreuve ; c’est presque un début à de certains égards. La vivacité de ses chants politiques l’avait fait ranger un instant dans la milice des poètes démocrates, et M. Herwegh croyait l’avoir enrôlé à jamais sous son orgueilleux drapeau. Depuis ce temps, les sympathies de ses ombrageux compagnons d’armes ont singulièrement changé ; on ne lui pardonne pas le modeste emploi qu’il a accepté auprès du plus libéral souverain de l’Allemagne. Bien qu’il n’ait jamais aliéné, même au milieu de la bruyante cohorte et dans ses années les plus vives,