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l’indépendance de sa muse ; bien qu’il ait conservé les mêmes sentimens d’aversion pour la ridicule tyrannie qu’il a combattue dans le duché de Hesse et qu’il combattrait encore, on ne veut pas croire à la franchise du poète : on répète contre lui les sottes accusations dont fut poursuivi, il y a quelques années, ce noble Anastasius Grün. La sérénité de ses poésies nouvelles, la pureté élevée de son inspiration, ne sont pas faites sans doute pour lui rendre les applaudissemens de M. Herwegh et de M. Prutz. M. Dingelstedt saura bien s’en passer ; il a trop vaillamment lutté contre le gouvernement de Hesse-Cassel et contre la police cléricale de Foulde pour redouter le despotisme d’un parti sans discipline. Pour nous, la délicate loyauté du poète sera certainement un attrait de plus ; écoutons-le donc, et, s’il en est besoin, que nos paroles lui viennent en aide.

Le livre de M. Dingelstedt est divisé en trois parties bien distinctes. D’abord nous sommes en Allemagne : c’est sa patrie qui est le séjour de sa muse et le sujet de ses chants ; puis il part, il voyage, il voit Londres et Paris, et consacre en de beaux vers ses plus vifs souvenirs ; il revient enfin, plus aguerri, plus fort, par conséquent plus calme, et il reprend sa tâche à son foyer. Le foyer, le voyage, le retour (Heimath, Wanderschaft, Rückehr, voilà le poème de M. Dingelstedt.

Les premiers chants, Erste Lieder, ouvrent le volume d’une façon bien gracieuse. Ce pur bonheur que donne l’amour de l’art y est exprimé avec beaucoup de charme. Le poète d’ailleurs ne se fait aucune illusion, et, puisque la Muse lui a ouvert le ciel, il sait bien qu’il doit renoncer à la terre. Ce sont ses premiers mots, et il les prononce avec un demi-sourire où brille une larme.


« Autrefois je rêvais de grandes choses ; je rêvais les honneurs de la terre, j’aspirais au bonnet doctoral ; je voulais même devenir professeur.

« Mais tout à coup vinrent les muses, les muses légères aux pieds divins ; elles me pressèrent Sur leur poitrine et m’enivrèrent de baisers.

« Et moi, depuis ce temps-là, tout occupé à chanter, à aimer, j’ai oublié le professeur et je suis demeuré poète.

« Mes mains ne peuvent plus quitter les cordes d’or de la lyre, et, au lieu de gros volumes in-folio, je n’écris plus que de petites chansons.

« O pauvre chanteur ! bienheureux chanteur ! tous tes rêves sont évanouis ; n’espère plus les biens de la terre, toi qui as gagné le ciel ! »


Puis, voici, comme chez tous les poètes d’Allemagne, les chansons amoureuses récitées à vingt ans dans les prairies embaumées. Il ne faut pas que l’année perde son printemps, ni que les poètes oublient de recueillir ces fleurs de mai, ces vers naïfs tout imprégnés des plus