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plus purs marquent bien la part que M. Dingelstedt a prise aux luttes de son temps ; mais l’auteur a raison de ne pas insister : je ne regrette pas de ne plus trouver ici les Chants du Veilleur, dont le parti pris, dont les invectives un peu trop préméditées eussent troublé le caractère élevé de ce volume. Le poète a bien fait aussi de joindre sans cesse à ces stances particulièrement politiques les pièces désintéressées où apparaît le pur sentiment de l’art, l’enthousiasme du beau. Est-il rien de plus contraire à la poésie que cette prétention, si haut proclamée par les jeunes tribuns, de ne chanter que les évènemens de la politique et de lutter avec les gazettes ? Certes, c’est bien le droit du poète d’exprimer à sa façon les sentimens qui agitent la foule ; prenez garde pourtant, et que ce soit toujours à la condition de ne pas aliéner la liberté de la Muse. Si l’ame du poète est, comme on l’a dlt, une cloche puissante, je veux bien qu’elle devienne aux jours du danger la voix de la cité en tumulte, je veux bien que le tocsin y puisse retentir ; mais la cloche serait maudite qui n’aurait jamais que ces fonctions lugubres : qu’elle sonne donc surtout la prière et la fête, qu’elle élève les ames et les réjouisse ! M. Dingelstedt a bien compris le devoir de la poésie quand il a placé, au milieu de ces hymnes enflammés, quelques-uns de ces nobles chants qui reposent et pacifient les cœurs. Je traduis plusieurs strophes de la belle pièce qu’il a intitulée Voyage sur le Rhin (Rheinfahrt).


« Toi qui, fier et maître des eaux, glisses vers la mer par ton chemin rapide, ô navire, pourquoi tes canons sont-il muets ? pourquoi tes pavillons sont-ils repliés ? pourquoi pas une banderole sur ton mât, pas une couronne sur tes vergues ? C’est un roi pourtant ô Reine Victoria !

« S’ils savaient, les insoucians de ton bord, sils savaient quel est celui qui, modeste et inconnu, se cache au milieu d’eux ; oh ! comme ils accourraient, comme ils se presseraient pour le saluer ! Tels les matelots saisis de respect saluaient jadis Arion.

« Moi donc, héraut de ce roi, je dirai d’abord son nom aux rochers pour qu’il soit porté au loin par le fidèle écho de Lurlei, pour qu’il retentisse dans les montagnes, au fond des forêts, le long du Rhin. — Uhland ! Uhland ! — Certes, ce nom est un puissant magicien !

« Voyez ! un rayon de soleil illumine déjà les grises murailles des chevaliers ; je ne sais quel souffle de printemps court dans les bois jaunis par l’automne ; la vigne frémit sous ces tièdes haleines, et à ce poétique nom, si cher aux allemands, le flot chéri de l’Allemagne, en se soulevant, envoie un fraternel salut !

« Et tout ce monde, ce monde de fleurs et de ruines que ses chants ont ranimé, voyez comme il s’éveille, comme il salue pieusement l’enchanteur ! Voyez les bergers en haut des montagnes, les vignerons dans les vallées,