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« L’heure sonne. C’est maintenant qu’on allume la première bougie au petit arbre de Noël. Dans l’air se répand une odeur de cire et de sapin. Les portes s’ouvrent, les fenêtres brillent ; cependant, au dehors, au milieu des rues couvertes de neige, les hommes qui prient, enveloppés de leurs manteaux, passent et repassent dans la nuit.

« Quoi est-ce un rêve ? suis-je bien éveillé ? n’est-ce point Paris ? Voici les théâtres, voici les boulevards. Oui, hélas ! autour de moi s’agite et bourdonne un peuple étranger, parlant une langue qui n’est pas la mienne. C’est un ciel étranger dont j’aperçois la voûte au-dessus de ma tête. Je suis seul, abandonné ; personne qui vienne amicalement à mes côtés, comme un fantôme des jours qui ne sont plus.

« Il y a aujourd’hui vingt ans ! J’étais enfant alors. Heureux ceux-là (mais combien sont-ils ?) qui le demeurent éternellement ! J’avais le foyer paternel, bien petit, cela est vrai, bien étroit ; qu’importe Le Christ y descendait pourtant. Avec ma sœur, j’attendais, joyeux et inquiet, dans la chambre toute noire, jusqu’au moment où sonnait la cloche, jusqu’à l’heure, celle qui vient de sonner, mon Dieu ! — où ma mère nous introduisait à la table ronde.

« Et là, sur mon assiette, — souriez si vous voulez, — je trouvai une montre cachée dans la mousse, c’était mon, présent de Noël, avec un ruban de soie qui brillait merveilleusement sur mes habits de fête. Mon père m’expliquait le mouvement de la montre, il la montait et me disait de faire comme lui Et moi, Je poussais des cris de joie, je sautais ; tout ravi, j’examinais la montre et j’écoutais le tic-tac du ressort.

« La montre était bonne, je la portai long-temps et elle me sonna bien des heures charmantes et bien d’autres que je consumai sans but, puis une heure fatale, hélas ! ma mère était morte. Cependant, après maintes années de bonheur, quand ma première jeunesse fut écoulée, la montre tout à coup s’arrêta. Étrange caprice ! Ô mon cœur, pourquoi ne t’es-tu pas arrêté comme elle ?

« Tout cela est passé, passé ! C’est bien à Paris que je suis maintenant ; voici le Palais-Royal, voici le Louvre. Oui, hélas ! autour de moi s’agite et bourdonne un peuple étranger, parlant une langue qui n’est pas la mienne ; c’est un ciel étranger dont j’aperçois la voûte au-dessus de ma tête. Je suis seul abandonné ; personne qui vienne amicalement à mes côtés, comme un fantôme des jours qui ne sont plus.

« Il y a aujourd’hui cinq ans ! Ah ! c’était le plus beau Christ qui me fût jamais apparu sur la terre ! elle fut à moi, celle que j’aimais, oui, à moi ! nous nous jurions d’être éternellement l’un à l’autre ! Quand je la pressai dans mes bras, quand elle me pressa dans les siens, elle me donna en pleurant un anneau d’or. Hélas ! l’anneau se rompit dès que fut rompu notre serment. Et toi, mon cœur, pourquoi ne t’es-tu pas brisé comme lui ?

« Et aujourd’hui, rien ! aucun souvenir de cette nuit ! rien pour moi de toutes ces richesses étrangères ! Dans des écrins resplendissans, voici des montres,