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n’en voulons pas. Ne lui demandons pas non, plus d’être seulement une assemblée destinée à examiner une seconde fois les projets de loi, un moyen de faire les affaires avec plus de calme et de maturité, Une chambre de révision. Nous voulons qu’elle soit plus que cela. La commission chargée, en 1831, d’examiner le projet de loi sur la pairie disait dans son rapport : « Dans le mécanisme d’un gouvernement monarchique et constitutionnel, on ne saurait considérer la chambre des pairs autrement que comme un pouvoir modérateur, chargé de maintenir, de conserver, de rendre stable. Par cela même, il est pouvoir intermédiaire, placé entre la couronne et la chambre’ élective pour prévenir la, collision qui pourrait survenir entre eux[1]. »

Ainsi, en 1831, on voulait avoir dans la pairie un pouvoir modérateur. Ces deux mots sont précieux. En effet, il a toujours été difficile dans ce monde de donner, non pas de la modération au pouvoir, cela s’est vu et cela dépend des caractères, mais de donner du pouvoir à la modération. Benjamin Constant, dans sa Politique constitutionnelle, essayant de définir le pouvoir royal, l’appelle aussi un pouvoir modérateur ; mais à voir comment il définit ce pouvoir modérateur, qui n’est pas le pouvoir exécutif, puisque le pouvoir exécutif réside surtout dans le ministère, qui n’est pas non plus le pouvoir législatif, puisque le pouvoir législatif réside dans les chambres ; à voir, dis-je, ce qu’est le pouvoir modérateur dans la Politique constitutionnelle, on s’aperçoit bien vite que ce pouvoir modérateur est, quoi qu’en dise l’illustre publiciste, un pouvoir quasi inutile, qui ne modère que ceux qui veulent bien se laisser modérer et qui manquerait de puissance le jour où quelqu’un s’aviserait de lui manquer de respect. Telle n’est pas, grace à Dieu, chez nous la royauté constitutionnelle ; elle a une force qui lui appartient, et dont elle use pour se conserver elle-même et conserver du même coup la société. Mais, si la royauté de 1830 ne ressemble en rien au pouvoir modérateur défini par Benjamin Constant, je crains bien que la pairie créée en 1831 n’y ressemble trait pour trait. Elle ne demanderait pas mieux assurément que de modérer les passions, mais elle ne le pourrait pas. Qui peut croire en effet que, s’il y avait une collision entre la couronne et la chambre, élective, la chambre des pairs, telle que nous l’avons, pourrait s’entremettre entre les deux pouvoirs et les contenir comme un puissant arbitre ? Le voudrait-elle à l’égard de la couronne ? le pourrait-elle à l’égard de la chambre des députés ? La chambre des pairs, telle qu’elle a été instituée,

  1. Rapport de M. Bérenger, page 21.