Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

complet, et, si vous en retranchez une partie, il faut alors à ce système mutilé en substituer un autre ; il faut ne rien changer ou changer tout. Remarquez en effet que, dans le système de la pairie héréditaire, c’est l’hérédité qui est l’élément fondamental, et que les deux autres élémens ne sont que des précautions contre l’ascendant même de l’hérédité : une pairie héréditaire qui serait limitée pour le nombre et qui élirait elle-même ses membres deviendrait bien vite maîtresse souveraine de l’état. Aussi, par la nomination royale, l’ancienne pairie dépendait du gouvernement, et, par l’illimitation du nombre de ses membres, elle ne pouvait pas faire corps contre le gouvernement. Tout se trouvait par là dans un juste équilibre, et la force de la pairie avait des contre-poids ; mais quand, en 1831, on enleva à la pairie l’hérédité et qu’on garda en même temps la nomination royale, et surtout l’illimitation du nombre, la vie lui devint impossible. Elle avait perdu ses racines, et on voulait qu’elle eût encore de la sève !

L’illimitation est, contre la pairie, une arme redoutable. Aussi cette arme n’est bonne que contre une pairie forte ; contre une pairie faible elle n’est plus de mise. Les titres et les honneurs n’ont de prix que parce qu’ils ne peuvent pas appartenir à tout le monde, et que tout le monde y prétend. Aussi sont-ils tous limités. Chaque dignité, chaque fonction a un nombre fixe de titulaires. De là, quand un titre ou une fonction vient à vaquer, il y a une compétition naturelle entre les divers candidats, et cette brigue tourne au profit du titre même ou de la fonction. Elle en vaut plus, étant vivement ambition née. Mais qu’est-ce qu’un honneur que tout le monde peut avoir ? Et ici qu’on ne me parle point des catégories. J’examinerai plus tard les catégories, et je montrerai quel est leur bon et leur mauvais côté. Les catégories ne sont pas une limite au nombre des pairs ; elles sont une précaution contre la faveur et l’arbitraire. Elles ne sont pas une force pour la pairie, elles sont seulement une défiance contre le pouvoir.

La limitation du nombre des pairs devait être une des compensations accordées à la pairie en retour de l’hérédité. Nous n’avons pour l’hérédité aucun regret superstitieux, mais il nous est impossible de uns faire remarquer que l’hérédité avait surtout pour mérite de donner à la chambre des pairs une origine indépendante. A défaut de l’indépendance d’origine, si nécessaire aux pouvoirs politiques, il fallait au moins donner à la pairie l’importance qui s’attache aux titres exclusifs et limités.

Ce qui fait donc, selon moi, la faiblesse de la pairie depuis 1831,