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Une nouvelle période s’ouvre ici pour l’histoire de la Prusse sous le règne de Frédéric-Guillaume IV. Ce parti constitutionnel qui, en 1823, s’était résigné au silence, il sera moins modeste cette fois, et une opposition très vive, très nombreuse, éclatera de jour en jour. Cette opposition est encore bien confuse, elle ne sait pas très nettement ce qu’elle désire, elle commet çà et là des fautes graves, elle est surtout compromise par les partis extrêmes ; peu à peu cependant, du milieu de cette mêlée tumultueuse, quand la poussière du premier choc est tombée, on voit se dégager plusieurs partis, modérés, intelligens, et qui s’avancent en assez bon ordre C’est dans les premiers mois de 1842 que la presse multiplie ses organes, et commence à devenir une force sérieuse. Voici d’abord la Nouvelle Gazette du Rhin (Neue Rheinische Zeitung), qui paraît au mois de janvier avec un singulier éclat ; c’était chose bien imprévue, en Allemagne, qu’un journal si décidé, une polémique si hautaine, si implacable. La Gazette de Kœniqsberg donna, vers la même époque, un article très remarqué sur l’état de la Prusse (Uber inlandische Zustande), et ouvrit une série d’attaques qui se succédèrent avec vigueur. C’est aussi à ce moment que les Annales de Halle, redoublant de colère, furent obligées de quitter la Prusse, et allèrent se reconstituer en Saxe sous le nom d’Annales allemandes. La presse, depuis 1842 surtout, occupait donc une place considérable dans l’Allemagne du nord ; en dépit de la censure, elle s’était conquis, à force d’audace, une incontestable influence.

Or, si l’on cherche dans tous ces journaux quel a été le fond de cette vive polémique, sur quels principes a vécu cette ardente opposition, on rencontre aussitôt la querelle fameuse de l’école historique et de l’école philosophique. Il a été souvent parlé de ces querelles en France, mais on n’a guère réussi à les rendre moins confuses ; il a été répété plus d’une fois que le roi de Prusse appartenait à l’école historique, mais on a oublié de dire ce que cela signifiait et quelle était la valeur de ces classifications. Le parti philosophique, c’est celui qui se rattache aux sévères traditions de Kant et de Fichte. Or, la philosophie enseignée par ces deux maîtres, l’importance immense, exclusive, la vertu souveraine qu’ils attribuent à la raison pure, tous ces principes sublimes et hautains se traduisent, en politique, dans la théorie qui soumet toutes les formes de la société aux pures conceptions de l’esprit. Fichte, continuant l’œuvre de Kant, abolit la nature, le monde, Dieu lui-même ; dans ce grand et effrayant système, il ne reste plus que l’esprit, la pensée, qui refait le monde en vertu de l’énergie qui lui est