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entière, ébranlée déjà profondément et menacée peut-être d’une ruine prochaine.

Je le répète, c’est là pour les défenseurs du parti constitutionnel l’ennemi le plus terrible ; c’est aussi de ce côté que l’attention se tourne désormais. On remarque déjà, en Allemagne, que le prince de Metternich est bien âgé ; comme on se défie du présent, on espère dans l’avenir ; on se dit enfin que le président actuel de la diète, l’élève, le confident du prince, M. de Münch-Billinghausen, n’a pas et n’aura jamais sans doute l’autorité du maître qu’il doit remplacer. Je ne sais s’il est besoin d’ajourner de la sorte les espérances de la Prusse. Si nous avons tracé exactement le portrait de Frédéric-Guillaume, il est très possible que toute l’habileté du prince de Metternich vienne échouer contre les incertitudes du roi. On assure que Frédéric-Guillaume, dans les réunions de Stolzenfels, a fait de grandes concessions en matière religieuse, mais que, sur la question constitutionnelle, il s’est réservé sa liberté tout entière. Frédéric-Guillaume s’accoutume peu à peu à l’idée d’une constitution, et il ne lui déplaît pas que l’Autriche en ait peur. S’il est retenu, d’un côté, par la crainte d’accorder plus qu’il ne doit, de l’autre, l’attention de l’Europe dirigée vers lui, l’effet produit déjà par les bruits vagues qui se sont répandus, le désir enfin d’assurer la prééminence politique de la Prusse, tout en ce moment flatte son amour-propre et le dispose à agir.

Je m’arrête : ce terrain des conjectures est toujours glissant ; qu’il nous suffise d’avoir indiqué les chances possibles. Aussi bien, quelles que soient les incertitudes du roi, si habile que soient les incertitudes du roi, si habile que puisse être l’opposition du cabinet de Vienne, il y a un fait certain, manifeste, et je crois l’avoir mis en lumière, c’est que le parti constitutionnel en Prusse est désormais une puissance tout-à-fait sérieuse. Le grand changement qui se prépare est déjà consacré au fond des esprits. Quand un peuple est arrivé à ce point de maturité vigoureuse, les libres institutions que réclame ce peuple peuvent bien ne pas lui être accordées sans délai ; mais il les obtiendra bientôt et nécessairement. En assistant avec émotion ; avec intelligence, aux discussions de ses publicistes, en suivant ces débats d’une tribune qui n’existe pas encore, la Prusse a conquis la tribune qu’on lui donnera demain. Que l’opposition continue donc ces luttes politiques, qu’elle redouble de modération et de fermeté, qu’elle grandisse en talent et en persévérance ; le jour où elle réussira, ce ne sera pas seulement la Prusse, ce sera l’Allemagne entière qui entrera décidément dans les voies d’une civilisation nouvelle.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.